Chapitre 14 - La famille Blake

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Cassandre ne perdit pas un instant et fit appeler l'intendant, Mr Hawkins. Elle lui remit une liste de plusieurs pages de travaux à effectuer dans le château dans les plus brefs délais, classés par ordre de priorité. Elle l'avait établie avec minutie lors des semaines précédentes.

Puis elle demanda que toute la maisonnée soit réunie dans le grand Hall au plus vite. Cela faisait bien plus de monde que Cassandre se l'était figurée. Le comte, en haut des escaliers, regardait, intrigué, le spectacle qu'offrait sa belle-fille dans sa robe à crinoline en taffetas de soie moirée violette. Une tenue de combat se dit-il, car il était rare qu'elle porte des tenues aussi recherchées. Il y vit la patte de sa mère, sans doute une de ces extravagances, on avait manqué de tout à Arlon mais une robe de soie devait lui paraître nécessaire à l'époque pour se rendre à Puisac la tête haute. La baronne d'Arlon avait pu être frivole parfois, mais comment le lui reprocher, elle avait élevé ses enfants sans jamais les abandonner, elle.

La mère et la fille n'avaient pas tout à fait le même gabarit et pour un œil exercé malgré les reprises, cela était flagrant, ce qui gâchait un peu le tableau sans compter que la couleur semblait un peu sombre pour une si jeune femme blonde. Et ses gants en nubuck avaient depuis bien longtemps perdus leur teinte originelle. Si Cassandre s'en rendait compte elle n'en laissait rien paraître. Elle était magnifique.

Elle défit lentement son chapeau très simple qu'elle tendit majestueusement à Christine sa jeune camériste qui affichait, un sourire allant d'une oreille à l'autre et observait avec fierté son travail. Les longs cheveux de Cassandre, nattés, torsadés, offraient un spectacle de toute beauté et d'une rare sophistication. Le port altier de la jeune femme le mettait remarquablement en valeur. Elle était royale et c'est l'effet qu'elle recherchait. Elle devait reprendre en main une maison partant à la dérive depuis un quart de siècle, il fallait donc faire preuve d'autorité se disait-elle. Arlon ne possédait en tout et pour tout que cinq serviteurs dans les périodes les plus fastes. Rien n'avait préparé Cassandre à accomplir un exploit pareil. Mais les Harispe n'avait jamais peur de rien n'est-ce pas ?

– Vous êtes bien dans cette maison, n'est-ce pas ? Demanda-t-elle après un long silence.

La plupart des gens hochèrent la tête, puis se jetèrent des coups d'œil méfiants. Que devaient-ils penser de cette réunion ? Ils passaient jusqu'à présent une journée tranquille comme à leur habitude. Maintenant que Lord Blake et les trois invités étaient partis, ils n'avaient guère plus de mal à se donner pour terminer leurs tâches de la journée.

– Vous êtes bien payés depuis des années pour ne pas faire grand-chose. Épousseter un peu de poussière une fois l'an, changer une vitre à l'occasion, dit-elle en souriant. Et tout ça en vous racontant de jolis contes de fées un peu effrayants pour mettre de l'ambiance. J'espère que vous en avez profité, parce qu'à partir de maintenant, si vous prévoyiez de toucher vos gages pour regarder l'herbe pousser, vous vous mettez le doigt dans l'œil. Vous faites le travail pour lequel vous êtes payés ou la porte est par là. Je veux que d'ici l'hiver, cette maison soit présentable. Les jardiniers, un pas en avant, je vous prie.

Une dizaine d'hommes sortirent du rang.

– Je sais que les jardins à l'anglaise sont censés être plus libres que les français, mais là, dit-elle en désignant la fenêtre, c'est de la jachère. Alors dès demain, six heures, je veux vous voir tous nettoyer les allées, tailler les pelouses et les buissons qui doivent l'être. Vous me ferez le plaisir, dans le carré que j'ai délimité de bâton rouge à l'ouest du château, de planter un potager, avec tout ce que Monsieur Devaux jugera nécessaire pour sa cuisine. Compris !

– Mais Madame ! Les animaux deviennent fous à l'ouest du Parc... On ne peut amener de charrette pour transporter ce que l'on coupe.

– Il doit y avoir un renard ou un blaireau caché dans le coin, ce n'est pas la petite bête qui va manger la grosse. Si vous ne la débusquez pas en débroussaillant, vous porterez les déchets à dos d'hommes. Débrouillez-vous ! Vous êtes de grands garçons. Vous voulez peut-être que Monsieur le comte et moi le fassions à votre place ?

Quand les loups se mangent entre euxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant