Chapitre 19- La fortune de Mister Brogan

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Gaëlle n'avait aucune véritable idée de l'étendue de la fortune du fils cadet de son tuteur. Mais elle commençait à se rendre compte qu'elle l'avait jusqu'à présent largement sous-estimé.

Outre son élégante maison, il avait à son service plus d'une dizaine de serviteurs, tous vêtus de livrées colorées, particulièrement originales qui charmèrent son œil d'artiste.

Elle avait eu un premier choc lorsque le majordome leur avait ouvert la porte.

– Je vous présente Komang, leur avait déclaré Aidan.

Jamais la jeune femme n'avait jusqu'à présent vu un homme qui ne soit pas occidental et elle dut se tancer pour ne pas le dévisager de manière impolie. Il portait ce qu'Aidan lui expliqua être un sarong, une pièce de tissu bigarré, enroulée autour de la taille et sur sa tête un udeng un foulard noué en bandeau créant un éventail sur le dessus du crâne.

Il avait engagé cet homme durant un voyage en extrême Orient, Komang avait besoin d'un travail, Aidan le lui avait fourni. C'est du moins l'explication que ce dernier lui avait fournie.

Cependant quand elle se rendit compte que la cuisinière était l'épouse de Komang, son fils l'un des valets de pieds et ses deux filles, les charmantes femmes de chambres de la maison, Gaëlle subodora une tout autre histoire.

Suardika, la très volubile fille aînée de la famille, que l'on avait placé à son service, (un luxe inouï qui la laissa tout d'abord un peu désemparée), lui expliqua que Monsieur Brogan était le meilleur homme du monde, qu'il avait sauvé son père de cruels pirates et pour le protéger lui et sa famille des possibles représailles les avait emmenés dans son pays.

– Vous êtes la fiancée de Monsieur, Mademoiselle ? Demanda ingénument la jeune fille positivement enthousiaste à l'idée de coiffer et habiller une jeune dame.

– Jamais de la vie, s'exclama Gaëlle, stupéfaite d'une telle supposition. Absolument pas Suardika, retirez-vous cette ineptie de la tête jeune fille ! Moi, fiancée à ce... Elle inspira profondément pour reprendre son calme, la pauvre Suardika ne pouvait pas savoir de quelle nature étaient les liens qui l'unissait à Brogan.

– Je comprends qu'à vos yeux il soit une sorte de héros, et je ne doute pas qu'il ait des qualités... bien cachées, mais sachez que si vous aviez dû grandir avec lui et supporter ses plaisanteries allant des grenouilles dans le lit, aux araignées dans les cheveux, vous trouveriez la perspective de lui être mariée toute aussi peu séduisante que moi.

– Mais il est très beau Mademoiselle.

– Lui ! Et sa bouche de travers ! Son frère Nathan a le bon goût d'être symétrique.

– Oh ! Vous êtes fiancée à Monsieur Nathan alors, s'exclama la jeune fille qui décidément n'envisageait pas que Gaëlle n'ait pas un promis quelque part.

– Pas encore. Mais j'y travaille. C'est pour cela que je suis venue à Londres.

– Je trouve Monsieur Aidan plus gentil que son frère.

– Un jour il a mis un rat mort dans ma robe.

– C'est dégoûtant ! Monsieur devait être un sacré chenapan, comme on dit chez vous.

– Un vrai démon, dit-elle en riant. Ma chère petite Suardika, je vais vous raconter par le menu la liste de ses crimes. Vous verrez bien si vous le maintenez sur son piédestal une fois que vous saurez tout...

Aidan était un vrai diable, mais elle devait l'admettre même si cela lui coûtait, doté d'un bon cœur.

Après s'être rafraîchie du voyage, dans le petit appartement tendu de soie vert d'eau d'une rare élégance qu'elle habiterait le temps de son séjour, elle descendit rejoindre ces messieurs au salon ou l'attendait une surprise.

Elle découvrit alors, que sa réputation ne courait pas le moindre risque durant son séjour sous ce toit car elle le partagerait avec Mademoiselle Honorine, la tante de la mère d'Aidan, qui ferait office de chaperon aux yeux de la société londonienne. Cette vieille dame ne s'était jamais mariée et touchait une rente modeste, elle avait vécu de la générosité de parents chez qui elle passait quelques semaines, quelques mois de-ci de-là. Gaëlle se souvenait d'étés où elle leur rendait visite à la campagne, pour profiter du bon air. C'était une femme digne et fière, qui faisait tout son possible pour se rendre utile. Elle avait souvent soigné les genoux écorchés, raconté des histoires, reprisé les vêtements troués des trois petits garnements qu'ils avaient été.

À présent elle était très âgée, et Gaëlle apprit que depuis trois ans, elle vivait à demeure à Theobald's Road. Une maison avait besoin d'une âme féminine pour être un vrai foyer lui avait dit Aidan.

La vieille dame avait son petit cabinet décoré à son goût (un peu moins exotique que celui d'Aidan), son fauteuil, son repose-pied personnel... en bref : elle était chez elle, pas seulement une invitée par charité.

Lorsqu'ils étaient venus la saluer, Honorine avait frappé des mains comme une petite fille.

– Vous voilà enfin mon enfant comme vous m'avez manqué. Venez m'embrasser.

Elle saisit la main de Brogan et s'y accrocha avec ferveur. Le jeune homme s'assit à ses côtés.

– Vous avez rajeuni tantine depuis mon départ. Je pressens qu'il y a un galant derrière ce mystère. Dois-je barricader notre porte ? Installer un gardien sous vos fenêtres afin de veiller à votre vertu ?

– Aidan, je suis une femme adulte.

– Vous ne niez pas ! Comment s'appelle ce godelureau, que je le passe par les armes ? Je sais, ne serait-ce pas ce fringant libraire ? J'ai noté les regards de braise qu'il vous envoyait tantine quand nous nous promenions dans le square. Sachez que j'ai mes agents dans cette maison et que l'on m'a rapporté que vous aviez reçu pas moins de trois bouquets de fleurs ce mois-ci.

– Vos agents ne sont pas aussi bien renseignés que vous le croyez. J'en ai reçu quatre. Ne soyez pas méchant avec lui mon petit. Il se conduit comme un parfait gentleman avec moi.

– Vous m'en direz tant. Mais je manque à mes devoirs. Je vous présente le baron Arcas Harispe d'Arlon, un français, l'homme trop beau pour être peint.

Honorine resta silencieuse un instant, avant de faire le bruit d'une baudruche qui se dégonfle quand il lui fit un baisemain, ce qui déclencha un fou rire général.

– On ne voit pas cela tous les jours.

– Tu quoque mi amita, je suis déçu. N'existe-t-il aucune femelle insensible au charme de ce vaurien.

– Tu risques de chercher longtemps mon petit et il est français ! Elle eut un gloussement. Que ne vous ai-je rencontré il y a quelques décennies ?

– Quelques années à peine Honorine. Je peux vous appeler Honorine, très chère, demanda Arcas de sa belle voix grave.

– Volontiers, répondit-elle, rougissante. Mais qui vois-je là derrière ? Ma jolie Gaëlle ! Comme tu as grandie depuis la dernière fois que nous nous sommes vues ! Dans mes bras !

Sans honte, la jeune fille se jeta dans les bras de la tendre demoiselle, avide qu'elle était d'affection. Honorine caressa ses cheveux comme elle l'avait fait des années plus tôt pour la consoler du fait qu'Aidan avait volé sa poupée, et Gaëlle eut envie de pleurer toutes les larmes de son corps. Seul le regard amusé que Brogan posait sur elle l'en empêcha.

Quand les loups se mangent entre euxNơi câu chuyện tồn tại. Hãy khám phá bây giờ