4. Le Marché (part. 3)

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Arrivée en bas, je commence par courir durant une demie heure pour m'échauffer. Je pourrais courir plus longtemps, mais il faut dire que dans cette pièce, ce n'est pas mon sport favori. Cette salle n'est pas petite, elle s'étend sous toute la superficie de la maison, mais il faut comprendre que s'élancer pendant plusieurs heures dans la même pièce, en tournant en rond, c'est vide ennuyant à la longue. Alors, je m'approche de la petite table où trente minutes plus tôt j'y ai déposée mes armes. Je choisis trois dagues à lame courte et m'avance vers le mur à l'opposé d'où je me trouve.

J'attrape une craie posée sur la petite étagère en fer à l'angle et du mur, et trace plusieurs cibles assez étroites sur le mur. Je repose la craie à sa place dans un petit bruit métallique et reviens me poster dos au mur en question. J'avance de huit grands pas. Je jette un coup d'œil derrière moi pour mémoriser l'emplacement exact des trois des cibles. Je remets ma tête dans l'axe de mon corps. Soudain, je me retourne dans un mouvement vif et rapide tout en lançant avec puissance ma dague qui vient se nicher dans le plus petit rond de ma cible. Je me retourne encore une fois et avance de 10 pas. Je place une arme dans chaque main, ferme les yeux et me concentre en visualisant l'emplacement des cercles sur le mur. Je prends une brève respiration, puis j'effectue le même mouvement de pivot qu'il y a quelques instants sur mon pied gauche, en envoyant simultanément mes deux dagues. Pour ce coup, j'ai redoublé de puissance, me trouvant plus éloignée, sinon mes armes n'auraient jamais pu se planter dans le mur. J'ouvre mes yeux pour découvrir avec joie et fierté que j'ai réussi tous mes coups. Un sourire vient de planter sur mon visage, ça change de ce matin.

Cette balade a réussi à ma changer les idées on dirait. Je renouvelle l'opération plusieurs fois avec succès. Pour finir l'entraînement, avant que le soleil ne décline totalement, quoi de mieux que de s'entraîner au corps à corps avec un sac ? Faire pareil mais avec Matt sûrement, mais là, tout de suite, je ne le peux pas, il est lui aussi en entraînement mais au quartier général des guerriers. Donc, ce sac fera l'affaire en attendant qu'il rentre. J'espère qu'aujourd'hui il aura appris de nouvelles prises, comme ça il pourra me les montrer et me les apprendre !

Je calcule tous mes coups avec précision et je me déplace avec agilité en imaginant qu'un adversaire se trouvant devant moi essaie de m'assener un coup. Je frappe encore et encore, je me défoule dans mes dernières montées d'adrénalines. Je souffle, fais une dernière roue en arrière suivit d'une pirouette et je m'arrête. Oui, cela ne servait pas à grand-chose, là maintenant, mais plus tard je serai contente de m'être entraînée à ça aussi, j'en suis sûre.

Je remets tout en ordre et remonte les escaliers jusqu'au premier étage. J'entre dans la salle de bain et enlève la couche de vêtement que je porte, je meurs de chaud. J'allume l'eau de la douche et me glisse sous un jet d'eau froide. Le froid me fait du bien. Il m'aide à me débarrasser de cette chaleur omniprésente après l'effort, et, à trier les informations que mes pensées me servent quotidiennement.

Je penche la tête en arrière, profitant pour une fois de la sensation que me procure l'eau qui glisse sur la peau, le sentiment qu'elle me lave de toutes les impuretés de la vie. Je me savonne le corps et les cheveux, puis me rince rapidement. Je sors et noue une serviette autour de ma poitrine. J'attrape un peigne près de l'évier et commence à démêler mes cheveux, dont les boucles alourdies par l'eau ont presque disparu. Je laisse mes pensées vagabonder vers différents sujets de la vie courante, des réflexions sur les relations humaines, quand j'entends la porte d'entrée claquer et une voix masculine crier "Je suis rentré !". Je ferme les yeux et m'imagine comment serait ma vie si cette personne venait à connaître le même sort que ses parents. Si, comme aujourd'hui, il partait pour seulement quelques heures, mais ne revenait jamais. Si je ne l'entendais plus jamais fermer la porte en criant son arrivée. S'il ne revenait jamais. Si je ne pouvais plus jamais lui parler ou l'embrasser. S'il était mort, que sa pâleur livide contrastait excessivement avec ses cheveux châtains, que ses lèvres bleutées ne s'ouvriraient plus jamais pour sortir une petite blague ou un mot de réconfort, que ses yeux ne verraient plus jamais puisque le voile de la mort les aurait recouvert, que ses mains ne se refermeraient aucunement sur les miennes pour me témoigner sa présence, que ses bras ne m'encercleraient plus jamais pour m'enlacer affectueusement. S'il n'était plus là.

- Eh !

Matt m'enlace par derrière, si bien que je ne l'ai pas vu arriver, en me faisant un gros bisou baveux sur la joue. Mes yeux me piquent. Je ne prends pas la peine d'essuyer ma joue, suite à son baiser et je pose mes bras et mes mains sur les siens en répondant comme je le peux à son étreinte. Quand le regard de Matt croise le mien dans le miroir, il fronce légèrement les sourcils et me demande si je vais bien. J'hoche mécaniquement la tête et tente un sourire vraiment minable. Je ne sais pourquoi ses idées noires m'ont assailli, mais je reconnais qu'elles m'ont chamboulé et attristé.

Mon meilleur ami voit que je ne vais pas bien et il me retourne pour que je me retrouve face à lui. Il me regarde dans les yeux.

-Qu'est-ce qu'il y a ?

Je refais le même sourire que tout à l'heure. Mes yeux sont secs, mais cela ne les empêche pas de me brûler. Comme je ne les autorise pas à consommer de l'eau pour pleurer, ils consomment l'inverse, le feu, et me brûle avec. C'est l'explication la plus rationnelle que j'ai pu trouver au fait de "pourquoi nos yeux nous brûlent-ils lorsque nous voulons pleurer ?".

- Tery... Parle-moi. S'il te plaît.

Je ne dis mot et le prends dans mes bras. Il répond sans hésitation à mon étreinte. Je le serre plus fort et lui chuchote quelques mots à l'oreille.

- Promets-moi de toujours revenir. Promets-moi de ne pas me laisser, je ne veux pas que tu meures.

Je niche ma tête au creux de son cou. Il comprend ce que je veux dire, il me comprend, toujours, et c'est pourquoi qu'il me serre encore plus fort en me murmurant qu'il sera toujours là, et qu'il ne partira jamais sans moi. Je ferme les yeux et inspire lentement. Je me calme doucement, et sans le vouloir, je m'endors dans ses bras, toujours en serviette de bain.


GuerrièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant