10. L'Opposition (part. 2)

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J'ai enroulé mes cheveux dans ma serviette, ils ne faisaient que goutter. Une robe me couvre le corps. Elle est jaune et oui, elle n'est autre que celle que Matt m'avait offerte. J'ai longtemps hésité entre celle-ci et une ancienne venant de ma génitrice. J'avais le choix entre une tenue de ma propre mère et celle d'une qui n'était pas la mienne. Le choix entre une génitrice qui ne m'a jamais aimée et d'une femme qui s'occupait de moi. Une décision entre une relique et un cadeau. Je m'asperge le visage d'eau fraîche. Puis, je lève la tête tandis que quelques gouttes perlent aux creux de mes joues. Mes pommettes habituellement rosis sont à présent blanchies dû au froid. Mes yeux semblent plus profonds et leurs couleurs paraissent plus vives. Quelques petites brindilles marron hérissent ma pupille. Mes iris remplis d'une étendue vert d'eau sont encerclés par un anneau grisonnant, qui a l'habitude prend plus d'espace, il me semble. Mes cils humides et noirs s'étirent, tel un voleur voulant fuir un destin tragique.

Lorsque mes paupières clignent, une bulle d'eau vient s'écraser sur mes joues redevenues colorées. Je positionne mes mains de part et autre du lavabo. Mes cheveux descendent en cascade sur mes épaules avec leurs ondulations accentuées. Ils atterrissent sur le haut de ma robe. Mes cicatrices sont totalement dissimulées. Cependant, la couture de ma bretelle gauche laisse paraître certains défauts.

En suivant le tracé descendant des épaulettes, le buste de la robe épouse parfaitement mon haut-de-corps. Puis, après avoir dépassé la limite de ma taille les pans de tissu se dispersent jusqu'à tomber à la hauteur de mes chevilles. Si je remonte mon regard, je vois très bien le reflet de ses bretelles se rejoignant pour former un joli décolleté en cœur.

J'expire. Pourquoi tout est si compliqué ? Même lorsque l'on veut penser à autre chose, notre cerveau finit toujours par remettre le sujet non-désiré en perspective. Cela en devient plus qu'agaçant.

Voyons le côté positif, bientôt je n'aurai plus à me soucier de cela puisque le temps sera écoulé, pensé-je.

- Tery, tu n'es pas très convaincante là, je souffle dans un murmure.

Bon, ne perdons pas de temps. Je me retourne et attrape le petit bloc de savon se trouvant dans la douche. Il a eu le temps de sécher, heureusement. Je l'enveloppe dans un petit mouchoir en tissu. Je marche vers ma chambre où se trouve mon sac. Je le glisse dans une poche extérieure et la referme. Mes potentielles affaires sont prêtes.

Je me dirige alors vers la cuisine où la vaisselle doit m'attendre. Et c'est avec étonnement que je découvre que les assiettes ont disparu. Je m'avance et ouvre les placards. Elles et tous les autres couverts sont posés, propres, à leur place. Matt a dû faire tout cela. Alors, c'est avec contentement que je m'avachis dans le sofa. Je me repose quelques instants avant de me convaincre d'ouvrir les yeux pour vérifier l'heure. Je me redresse légèrement et fixe les aiguilles de la pendule. Mes yeux menacent de sortir de leurs orbites lorsque j'aperçois que la petite aiguille pointe bientôt le signe "2". Je me lève en sursaut. J'accours jusqu'aux escaliers quand je croise Matt, fin prêt.

- On y va. C'est bon pour toi ? me demande-t-il placidement.

Je m'élance vers ma chambre lorsque je lui réponds oui. J'enfile en vitesse mes scandales, j'empoigne mon sac et rejoins en vitesse la porte d'entrée. Je jette mon sac sur le canapé, près de celui de Matt, et je sors de notre maison. Nous sommes en retard et je n'ai pas le temps d'admirer - peut-être - une dernière fois notre maison avec les yeux remplis de nostalgie. Mais ce n'est pas si mal finalement. Les adieux larmoyants ne sont pas vraiment mon truc, même si ce n'est qu'une maison.

Nous marchons, côte à côte, d'un pas rapide. Je jette quelques coups d'œil à certaines enseignes que je connais assez bien.  Nous ne sommes plus très loin des murs. Nous arrivons bientôt à l'entrée une vaste place, proche de celle du marché. Celle-ci est bordée de la plupart des bâtisses administratives comme justicières de la ville. Seule deux infrastructures gouvernementales échappent à l'emprise angoissante de cette place. La grande salle de réunion et la Chambre du Conseil sont parfaitement placées au centre de notre ville, pour être accessible par tous.

Un haut bâtiment se dresse sous nos yeux. La devise du Conseil y est inscrite : "Nostri Patroni et nostri Conditores sunt nostri soli Creatores". Cette courte phrase résume très bien notre vision du monde. Pour nous, nos géniteurs sont seulement de simples personnes ayant permis de nous donner naissance. Mais, en aucun cas nous les considérons comme nos parents. Il y a une importante distinction est faite entre le mot "parent" et le mot "géniteur". Le mot "géniteur" exprime des liens physiques, en aucun cas désirés par l'enfant. Alors que le mot "parent" désigne des sentiments maternels ou paternels, de l'amour éprouvé par l'enfant. Et dans cette phrase, Le Conseil démontre que nos créateurs ne sont pas nos géniteurs, mais nos protecteurs et nos fondateurs. Autrement dit, Eux.

Nous pénétrons dans le hall où de nombreux gardes sont postés à intervalles réguliers. Ces guerriers restent immobiles, les bras le long du corps et le menton relevé. Leur uniforme est au complet. Et même si aucune arme n'est apparente, je ne tenterai pas de m'attaquer à eux. Matt me précède et interpelle le secrétaire, assis derrière son grand bureau à l'accueille.

- Bonjour, nous avons été convoqués par Le Conseil, il doit nous attendre, affirme Matt d'une assurance sans faille.

L'homme doit certainement chercher cette information dans son carnet puisque plusieurs froissements de feuilles se font entendre. Il s'arrête quelques instants sur une fiche.

- Monsieur... ? questionne-t-il d'une voix ennuyée sans même daigner lui jeter un regard.

- Mattelos.

C'est alors qu'il reprend son feuilletage. J'ai bien cru qu'il allait y passer toute la journée lorsqu'il nous demande notre fiche de convocation. Matt la lui tend. Il la soulève, la regarde à peine et nous dit de patienter. J'espère qu'il se fiche de moi. Nous n'avons fait que ça, attendre ! Je me tourne pour observer une grande horloge. Les deux aiguilles pointent le "2". Notre temps est déjà écoulé.

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