32. Douce Forêt (part. 3)

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- Si tu étais encore à Westen, tu aurais agi exactement pareil qu'à l'époque puisque tu serais toujours la même. Depuis que tu as quitté cette ville, tu as changé, crois-le ou non. Et c'est une bonne chose, ne te détrompe pas. Tu as pris plus d'assurance, tu te fais confiance et tu réfléchis beaucoup plus avant d'agir, finit-il avec un petit sourire.

J'hausse les épaules, c'est bien vrai. Chaque élément de notre vie nous façonne. Et je ne fais pas exception à la règle. Je suis plus une petite fille aussi naïve qu'avant. Et dans quelques temps, je ne serais plus celle que je suis actuellement.

- En étant un soldat, je me suis sentie plus proche de mon père, de la vie qu'il a pu mener. J'ai eu l'impression, pour la première fois, que je marchais dans ses pas et c'est d'un profond réconfort, je dévoile en regardant dans le vide.

La nuit et sombre mais je vois bien plus de chose. J'imagine mon père, assis lui aussi à parler à son meilleur ami. Il a dû avoir ce genre de discussion nocturne, lors d'un tour de garde.

- Tessy, il ne faut pas que tu essayes de reproduire la vie de ton père, débute Matt.

Je plonge mon regard dans le sien lorsqu'il emploi ce surnom. Je lis dans ses yeux qu'il refuse d'ajouter « Regarde où cela l'a mené, il est mort ». J'avale difficilement ma salive et écoute ce qu'il a à me dire.

- Ne marche pas dans ses traces, mais crée-toi les tiennes. Ce n'est pas la vie de ton père, ce n'est pas la mienne, c'est la tienne. Peu importe si ton père a fait tel ou tel choix, fais les tiens. Peu importe si ton père aurait voulu tel ou tel chose, fais ce que toi tu veux. Et tant pis si tes choix l'auraient mis en colère, il n'est plus là pour les voir.

Je baisse mon regard. J'ai soudain l'impression qu'il me manque quelque chose de vital. Mais pourtant, mes poumons se remplissement toujours d'air, mon cerveau fonctionne toujours, mon cœur bat toujours. Je préférerai suffoquer ou sentir qu'il me manque un organe ou quelque chose du genre. Au moins j'aurai vraiment ce manque. Alors que là, j'ai juste l'impression que malgré sa mort, tout va bien chez moi, qu'elle ne me fait plus rien.

- J'ai peur de l'oublier ou que sa mort ne me fasse ni chaud ni froid. Je m'en veux tellement de penser cela, que un jour ça arrivera, je ferme un instant les paupières retenant des larmes.

Je sens une boule me bloquer la gorge. Mais elle n'est pas là à cause de la mort de mon père, mais à cause d'une peur. Je sens deux grands bras me serrer contre Matt et je m'y blottis. Je laisse quelques larmes s'échapper. Cela fait du bien de pleurer, je l'ai appris en classe. Il y a des molécules dans nos larmes qui nous calme. C'est seulement pour cette raison que je m'autorise à pleurer.

- Tu ne l'oublieras pas, on ne peut pas oublier ses parents. Ne pas y penser à chaque seconde ne veut pas dire oublier. Et si un jour sa mort ne te provoque plus une crise de larmes, je serai le plus heureux. Il ne voudrait pas que cela te gâche la vie, il ne voudrait pas que cela te ronge, au contraire.

Sa voix calme et posée me détend et évapore cette tristesse aussi vite qu'elle est venue. Mais je reste blottie dans ses bras.

- Je ne t'ai jamais vraiment demandé ce que tu ressentais vis-à-vis de tes parents, je confesse.

Il ne répond pas tout de suite et prend la peine de réfléchir.

- A l'inverse de tes géniteurs, je n'ai jamais vu les miens morts. Durant beaucoup d'années j'ai continué à espérer, à croire qu'il reviendrait me voir. Je ne leur en voulais plus d'être partis juste avant mon anniversaire, je leur aurai tout pardonné, tout. Mais ils ne sont jamais revenus. Ils nous ont abandonné et ont dû se faire tuer par des créatures en voulant quitter la ville. Ils m'ont terriblement manqué, surtout ma mère. Elle me manque toujours, mais j'ai fini par m'habituer à son absence. Je me souviens quand elle venait le bercer le soir. Elle me racontait des histoires. Et elle m'a toujours dit que lorsqu'une personne s'en va pour de bon, il faut pleurer, crier, hurler, mais qu'une fois cette tempête d'émotions passé, il faut vivre. Vivre pour soit et pour ceux qui ne peuvent plus le faire. Que si elle mourrait, elle voudrait que je vive si fort qu'elle pourrait en profiter à travers moi.

Evae était comme une mère pour moi. Douce, sereine et aimante. Mais elle aussi est partie la même année à quelques mois d'intervalle. Matt a le regard perdu dans le vague et ses paupières tombent. Je lui caresse l'épaule, heureuse qu'il ait arrêté de se fermer à moi.

- Evae a toujours été une mère formidable, elle ne nous aurait pas abandonné sans raison.

Mes mots se voulaient réconfortant, mais une fois prononcés ils soulèvent mille et une question. Mais je ne veux pas que Matt commence à y penser maintenant. Il y a d'autre priorité et je ne veux pas le rouvrir une plaie avec mes questionnements.

- Elle serait fière de toi, j'en suis sûre, je me reprends. Vas-y dors, tu en as besoin. C'est mon tour de garde.

Je le regarde tendrement et secoue la tête lorsqu'il s'apprête à me dire de dormir. Je le regarde me fixer, s'assurant que je sois certaine de moi. J'acquiesce.

- Allez.

Il s'allonge alors et après un dernier regard pour moi, il se laisse sombrer.



GuerrièreWhere stories live. Discover now