53. Pétrichor

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La vie n'est qu'une ombre qui passe, un pauvre acteur

Qui s'agite et parade une heure, sur la scène,

Puis on ne l'entend plus. C'est un récit

Plein de bruit, de fureur, qu'un idiot raconte

Et qui n'a pas de sens.

William Shakespeare, Macbeth


Réglée par un balancier mu au même rythme depuis le commencement, le soleil ne tardera pas à apparaître. Le ciel étoilé se floute déjà, inondé d'une lueur laiteuse. Les premiers oiseaux chantent, m'extirpant d'un lourd sommeil. Mon corps me fait mal. Je ne me suis toujours pas habituée à dormir à même le sol. Mon visage me gratte et plusieurs pierres m'ont endolori les jambes. Je roule sur le dos, visage face à l'immensité de l'atmosphère. Mon épaule rencontre un obstacle. Un obstacle ronchonnant. Mon regard dévie sur cet homme tiré par ma faute de ses rêves. Ses paupières papillonnent, m'offrant une jolie vue sur ses iris grisonnantes. Il me lance un regard plein de reproches, fronce les sourcils avec un demi sourire et souffle. Je m'éclaircis la voix et le regarde se lever. Se contorsionnant dans tous les sens, sous le tissu fin j'imagine ses muscles se tendre. Perdu dans sa tête, il réveille Thaym et lui murmure quelques mots, puis part. A mon tour, je me redresse, curieuse. Je me demande où il file comme cela.

Le grand blond s'assoit en tailleur, me faisant ainsi face avec quelques mètres d'écart. Il me sourit. Sa peau abîmée se plisse étrangement. Je lui rends son sourire. Ses émeraudes pétillent amicalement. Des beaux yeux comme cela ne s'oublient pas. Il a sûrement dû en profiter avant de venir ici, je glousse intérieurement pleine de bienveillance. Son visage se tourne. Shesy sort peu à peu de l'étreinte de Morphée. Son corps fort et gracile est étendue contre Matt. Ce dernier nous regarde, assis. Sa main tripote inconsciemment une mèche blanche de cheveux. Une pointe de jalousie me pique à vif. Je secoue la tête en enlevant mes doigts qui étaient jusqu'à présent posés sur mes cicatrices le long de mon cou. Je suis ridicule. Cela ne devrait même pas m'atteindre actuellement. Je me fiche bien de ce qu'il peut faire. Tant qu'il ne change pas d'avis pour ce soir... tout va pour le mieux. Après une longue discussion entrecoupée, il a accepté de m'accompagner et de s'allier au général. L'idée d'en connaître un peu plus sur ce qu'il est arrivé à ses propres parents y a aussi beaucoup contribuée. Il m'a aussi aidée à consolider un plan plus sécurisé. Nous ne sommes pas à l'abris d'un éventuel retournement de situation. Je lui ai fait promettre de ne rien dire aux autres. Je ne veux pas les mettre en danger. Mieux vaut qu'ils soient un peu écartés. Je leur en parlerai après. Alors, tant qu'il se contente de soutenir la tête de Shesy, cela me convient. Elle n'est pas la première et ne sera pas la dernière.

- Thaym, tu sais où est parti ton co-équipier ? je questionne.

Il acquiesce.

- Il est allé chasser.

J'hoche la tête. Il aurait pu me le dire, j'étais juste à côté de lui. Non ?

- Cela n'est pas prudent de faire un feu ici, si proche de la section.

- Cela est vrai, je soutiens.

- Il y a sûrement pensé et doit avoir quelque chose en tête., prononce Shesy en s'éclaircissant la voix.

- Exact, il m'a juste dit qu'il serait là dans un peu plus d'une demi-heure.

Je lève le nez, observant la couleur encore nocturne du ciel. D'ici là, l'aube sera levée.

La journée s'est écoulée lentement, dans un rythme angoissant amplifié par de noir nuage trop aventureux. Je suis pressée d'en découdre. D'être fixée. Cela fait plusieurs mois que je n'attends que ça, une solution. Et là, cette alliance me semble parfaite. Mais, restons prudents. Je me méfie de l'eau qui dort.

Les guerriers ont déjà fait halte pour la nuit. C'est le moment pour nous de nous éclipser. Quoi de mieux que de prétexter une réconciliation ?

- Tery, j'aimerai que tu me donnes une chance de t'expliquer, murmure-t-il près de moi.

Le cadre calme et silencieux de la nature offre un avant-goût de ses paroles à nos compagnons. Je pourrais me convaincre que Matt est un très bon comédien, mais je sais que ce qu'il dit est vrai. D'un pincement au cœur, j'acquiesce. Son regard vogue un instant au loin et sa tête penche dans cette direction.

- Tu veux bien... euh... un peu plus loin ?

Avant de croiser son regard, je tombe sur celui de Thaym, les yeux fixés sur nous. Ses sourcils sont froncés. Il me lance un regard noir que je ne comprends pas vraiment. Le temps que j'avale ma salive, Shesy lui parle déviant ainsi son attention.

- Bien-sûr, j'hoche la tête.

Je le suis sans un mot, le cœur battant. Dès lors qu'aucun de nos co-équipiers ne puisse nous voir, mes doigts se mettent à caresser mes cicatrices. Lorsque je me rends compte de ce tic, je retire ma main de mes Etoiles. Je m'insuffle une vague de sérénité en espérant que cela suffise à calmer mon cœur. Je souffle, détendue.

- Prête ?

Un regard suffit à nous encourager mutuellement. Nous avançons. Nous approchons. Rapidement, une silhouette se dessine derrière quelques buissons broussailleux. Non, deux. Mon cœur se serre mais ma gorge ne se noue pas. Aucun signe extérieur de panique. Deux hommes. Un grand et un petit.

GuerrièreWhere stories live. Discover now