44. Une vague dorée tâchée de rouge (part. 3)

184 15 0
                                    

- Il a raison. C'est pourquoi je vais rester ici. Ça ne me dérange pas de me battre pour le camp ennemi, après tout j'ai déjà trahi mes parents en venant ici, hausse-t-il les épaules. Je veux être sur le terrain. Je ne veux pas passer ma vie en caserne.

Je vois le regard de Jonas partir loin, très loin. Je sais à quel point il aime l'aventure et, s'il rentre à Lowick, il ne pourra plus s'échapper en mission. Gabany le surveillera d'encore plus près. Seulement, je me demande pourquoi Jonas tient-il tellement à faire partie de la section de Victhorion après ce qu'il s'est passé. Le général a causé le plus grand traumatisme de sa vie lorsqu'il a défiguré et tué la fille qu'il aimait. Peut-être cherche-t-il à se venger, ou à passer à autre chose ?

- Jonas... Tu es sûr ? Je veux dire... à être sous les ordres de Victhorion.

Je n'ai pas besoin de formuler clairement ce à quoi je fais référence, Jonas saisit instantanément le sens de ma phrase. Il me sourit mesquinement. Il sait ce qu'il fait. Il a une idée derrière la tête et je me demande bien ce qu'elle est. D'un sourire en coin, le blondinet m'indique qu'il a tout prévu et que cette idée tourne en bouche dans sa tête depuis longtemps. Pour la première fois, je le vois détendu et satisfait de la situation.

- Entièrement, lance-t-il enthousiaste.

J'acquiesce en guise de consentement. Je suis heureuse de le voir comme cela, même si la situation ne s'y prête pas totalement. Après nous avons lancé un clin d'œil et quelques plaisanteries sur la situation, Jonas glisse sa main dans la mienne. Ainsi, il récupère le remède. Satisfait, il se retourne et marche fièrement vers le général. Ce dernier sourit, visiblement satisfait que cette situation se résolve.

- Cela est donc vous qui resterez ici ? Bien, bien.

Cinq guerrières auparavant derrière nous s'avancent. Chacun d'eux pose leurs mains sur nos poignets. Le général souhaite éviter tout incident.

- Donnez-moi ce que vous tenez là.

Dans un geste méprisant, Jonas dépose la fiole dans la paume tendue du général.

- Vous avez le droit de regarder vos amis une dernière fois, je ne suis tout de même pas un monstre, sourit-il tristement.

Jonas pivote lentement vers nous. Mélancolique, je le détaille comme si je n'allais plus jamais revoir ce sourire charmeur. Il se tient droit, conscient de la situation dans son bel uniforme rougeoyant. Ses ondulations n'ont pas perdu leur éclat malgré les intempéries. Il est rayonnant. Ses yeux plein de vie semblent encrer l'instant dans sa mémoire. Un reflet m'éblouit du coin de l'œil. Mon regard descend le long de son corps, l'observant, lorsque je vois ses jambes frémir. Ses genoux tremblent et s'écroulent au sol. Ses bras ne sont plus ballants, mais serrés autour de sa gorge. Un regard d'effroi et d'incompréhension jaillit hors de ses yeux écarquillés. Un gargouillis étouffant me coupe la respiration. Ses doigts noyés de sang tentent en vain de comprimer la plaie. A la vue de ce liquide pourpre, mon corps cesse de fonctionner. Je ne peux plus bouger. Jonas ouvre la bouche, cherchant désespérément de l'air, s'accrochant à ce qu'il lui reste. Il tourne de l'œil quelque seconde et crache du sang. Ce liquide gluant et rougeâtre s'écoule lentement de sa bouche. Il coule. Il tâche le col de son uniforme. Seulement, mon regard s'est encré juste au-dessus de son blouson. Son cou. Tranché. Sa chair est à vif. Cette vision me brise le cœur. Son visage est pâle. Peu à peu, la vie auparavant prisonnière de ses iris s'échappe et coule le long de son corps cherchant à retrouver la terre. Son corps leste s'effondre dans l'herbe. Son sang a tâché l'uniforme qu'il aimait tant. Son sang a imbibé la terre d'une teinte mortelle. Son sang a souillé les vagues éclatantes de ses cheveux. Et soudain, je réalise qu'il n'est plus là. Il est parti. Son corps a cessé de bouger. Dans un soupire sanguinolant, le dernier brin de vie s'est envolé. Et mon cœur saigne.

GuerrièreWhere stories live. Discover now