Epilogue, Partie Première

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La nature a, peut-être, ses raisons de faire des cœurs impitoyables.

William Shakespeare, Le Roi Lear



Westen, 16 mars 2175

Victhorion, sergent d'une grande unité



Victhor prit une grande respiration, conscient de l'apnée qui allait suivre. Un pied après l'autre, il avança lentement dans ce long corridor. Son cœur battait la chamade. Il savait pourquoi il était ici. Et il savait que longer ses grands murs blancs constituait son dernier moment de répit. Cela faisait à peine un jour qu'il était revenu de son séjour missionnaire à Lowick, et déjà il était convoqué auprès du Conseil. Cela ne présageait rien de bon. Alors, anxieux, le jeune homme arpente ce couloir interminable d'une blancheur oppressante. Les carreaux glissent sous ses pieds, luisant car nettoyés trois fois par jour. Malgré sa convocation, personne ne l'escorta. Il était seul, accompagné du seul bruit de sa respiration et de ses talons martelant le sol.

Bientôt, il se retrouva face à deux battants de la porte qu'il allait devoir franchir. Ces deux battants qu'il avait pourtant poussés de nombreuses fois, mais qui aujourd'hui lui riaient au nez. Tentant de le cacher tant bien que mal, Victhor avait peur. Il frémit lorsque ses mains rencontrèrent la surface glacée de cette porte hostile. Il retint son souffle. Oublia le tremblement de ses mains. Et poussa les deux battants de la porte.

Les yeux grands ouverts, le jeune homme remarqua instantanément la tension qui électrisait l'air de la salle. Afin de dissiper le nœud qui nouait sa gorge, il contempla quelques secondes les merveilleux motifs qui ornaient la coupole, juste au-dessus des sièges du Conseil. Le temps de son ascension entre les rangées de bancs, ses yeux s'enroulèrent autour des courbes colorées peintes au plafond. Cela suffit à lui donner la force d'afficher sur son visage un calme olympien.

Il était à présent devant le Conseil, se tenant droit au centre de cette grande salle ovale. D'un signe de tête, il s'inclina.

- Bonjour, débuta-t-il à l'instant où l'aiguille des secondes annonça l'heure de la convocation.

- Je suis ravi de constater que votre ponctualité est toujours parfaite.

Tirihon sourit au jeune homme, qu'il voyait souvent comme un prodige de sa génération. Cela aurait été réellement dommage de gâcher un tel potentiel.

- J'y tiens, remercie le sergent.

N'attendant plus, l'Aîné prit la parole.

- Vous avez assisté à l'incident publique qu'il y a eu hier. Cela n'aurait jamais dû avoir lieu.

Victhor avait compris de quoi le chef du Conseil souhaitait parler. Et, gardant le visage froid, il n'attendait plus que les mots sortent.

- Vous étiez au courant des activités du général. Pourtant, jamais vous ne nous en avez fait part. Cela constitue une grave faute, j'espère que vous le comprenez vous-même en observant quel scandale cela a engendré.

Le sergent a appris au fil du temps à lire entre les lignes du Conseil. Et là, ce dernier attend une réponse, une justification qui n'allégerait en rien la sanction mais qui rassurerait l'autorité et l'ego du Conseil. Alors, c'est ce qu'il fit.

- Bien, coupa le Cadet. Toutefois, cela n'est autre qu'une trahison.

- Et toute trahison mérite correction. Nous avons donc décidé de vous soumettre à l'Examen.

Tandis qu'une part du jeune homme se détendit, l'autre laissait place à de l'anxiété. Il n'avait jamais été dans la confidence concernant les Examens. Il n'avait aucune idée de ce en quoi cela consistait si ce n'est de prouver sa loyauté. Et cela, il savait très bien le faire.

- Souhaitez-vous entendre la sanction qui vous sera attribuée si vous échouiez ?

- Non, Aîné. Je n'ai point besoin de cela, je ne faillirai pas et vous prouverai mon obéissance. Malgré cette écartade, je vous suis toujours resté fidèle et mes actes le démontreront.

Visiblement satisfait, l'Aîné étira un long sourire sur ses fines lèvres. La vue de ce sourire diabolique fut le premier signal d'alerte qui aurait dû prévenir le jeune guerrier de l'horreur qui allait suivre.

- Très bien, alors ne tardons plus. Et, sergent Victhorion, gardez à l'esprit que si vous réussissez cet Examen, vous serez promu au grade de général.

Le concerné hocha la tête, enchanté de cette nouvelle. Néanmoins, cette nouvelle ne l'enchanta pas longtemps puisque rapidement, il compris quel sadisme animait son Examen. Mais, n'ayant plus le choix ni la possibilité de renoncer, le guerrier fut forcé d'obéir. Cette obéissance n'avait rien de loyal. Elle était bercée dans la terreur, puisque ce qui dirige une armée ce n'est pas la fidélité mais bien la peur. Et cela, le Conseil l'avait compris depuis bien longtemps et ne se gênait pas pour l'appliqué.

Il suffit d'une seule heure pour que Victhor connaisse la plus affreuse douleur que son cœur n'ait jamais supporté. Un seul ordre suffit à briser le jeune homme, qui jamais ne se releva. Mais il avait réussi. Il était général. 



ARCHIVE N°4532 du 16 mars 2175, 11h15,

Octavia, Maximus et Saphia ont été retrouvé assassinés dans leur domicile. Affaire close. Aucune recherche n'a été faite sur les conditions du décès des géniteurs et de leur jeune fille. Tous les biens sont légués au fils aîné qui est en âge de vivre seul : Victhorion. Sous ordre du membre du Conseil chargé de l'Education, Etharius, le benjamin de la fratrie, Brion, sera assigné à une nouvelle famille loin de son frère. Aucune communication n'est autorisée entre les deux frères à partir de ce jour sous peine de sanction.

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