39. Un Traumatisme Amoureux

392 27 8
                                    

L'on m'a dit que vous fardiez. Fort bien ! Dieu vous a donné un visage, et vous vous en fabriquez un autre.

William Shakespeare, Hamlet



Shesy me sort d'un sommeil agité. D'un cauchemar. J'ai rêvé que je jouais avec mon père, en paix, jusqu'à ce que de nombreux hommes en noir rentrent de force chez nous. Ils l'ont exécuté sous mes yeux. Sans aucune raison. Un frisson me parcourt. Du calme Tery, ce n'est qu'un rêve, je me dis même si au fond de moi je sais que cela est presque similaire à ce qui a pu se passer il y a de cela plus de 9 années. Je vais m'asperger le visage d'eau fraîche pour me sortir totalement de ce sommeil. Tout va pour le mieux.

- Réveil compliqué ?

Mon sourire ressemble plus à une grimace qu'autre chose.

- Pas plus que d'habitude, je mens à Jonas.

Il me lance ce fameux regard de « pas de ça avec moi ».

- D'accord, j'ai mal dormi mais peu importe cela arrive à tout le monde.

- Tant que ça devient pas récurant tout va bien.

En tournant la tête je croise le regard de Wyden et je ne sais comment réagir. Je veux lui sourire mais en repensant à mon trouble d'hier je me rappelle l'avoir malgré tout blessé. J'esquisse un sourire timide et, perturbée, je détourne instantanément le regard. Je sais que Jonas me fixe en se retenant de rire.

- Pourquoi tu te moques comme cela ?

- Vous ne faîtes que vous tourner autour, mais dès qu'un de vous fait un pas en avant l'autre en fait trois en arrière. Excuse-moi de rire, mais c'est ridiculement mignon.

Je le regarde perplexe, toujours les mains au-dessus de l'eau. Je pourrai nier mais c'est pourtant vrai.

- Cela n'a rien de ridicule et encore moins de mignon. J'aimerai juste qu'il ne prête pas attention à moi, ce serait plus simple...

- Mais ce n'est pas le cas et c'est pourtant simple.

Je secoue la tête. Non, non, non, c'est une mauvaise chose. Quand on s'attache à quelqu'un ça a toujours de mauvaises répercussions. Je ne sais pas comment va se terminer cette expédition, mais s'il arrivait malheur... Moins je m'attache moins je souffrirai.

- Je sais qu'tu penses au pire et que c'est la plus grande raison de ton air perdu, mais arrête de te torturer l'esprit tu veux.

- Tu ne comprends pas que ce n'est pas possible ! Il y a trop de risques pour que quelqu'un souffre. L'amitié garde une certaine force sans cette absurde dépendance qui peut tout gâcher.

Ma voix s'éteint peu à peu et je me dis que j'ai peut-être trop parler, que ce n'est pas le moment pour les émotions. Mais à quoi bon garder tout cela en moi ?

- Et s'il meurt tu regretteras de l'avoir laisser filer.

J'ouvre ma bouche mais rien ne sort.

- Et ne me dis pas que je ne comprends pas.

Sa voix est dure et durant l'espace d'un seconde ses yeux luisent. Puis ses paupières remuent et chasse toute émotion. Je sais qu'il n'aime pas trop les émotions, mais je déteste parler à sa coquille et ne pas voir ce qu'il ressent réellement. Personne n'est insensible, c'est faux, nous avons tous des torrents d'émotions. Cependant, nous choisissons de nous les avouer ou non et de les montrer ou non.

- Mais comment je peux connaître le bon choix puisque tout le monde ment ?

Jonas reste silencieux quelques instants et je redoute que Shesy nous affirme maintenant que la section part, car je veux continuer cette discussion à tout prix. Avant que Jonas ne me dise que je dois écouter mon cœur je prends à nouveau la parole.

- Toi aussi tu le sais que même dans notre petit groupe nous nous mentons les uns les autres. Pourquoi cela ? Tu penses que c'est parce que de nature nous n'arrivons pas à faire confiance ou tout simplement que nous ne sommes pas entourés des bonnes personnes ?

Il ne dit rien mais je vois sa main droite trembler. Ses mèches dorées ondulent lorsqu'un geste de tête lui échappe. Son regard semble hésitant, non pas peureux mais juste maladroit sur quelle attitude adopter. Alors que je ne souhaite pas le voir s'éloigner en blaguant comme si de rien n'était, je m'assois.

- Nous n'avons jamais terminé notre discussion.

Je l'invite à s'asseoir et il s'installe alors à côté de moi. Le roulis de la rivière comble le vide alors que le soleil n'est pas totalement réveillé.

- Je t'apprécie beaucoup Tery et j'ai été heureux de te rencontrer puisqu'avec toi je pouvais recommencer à zéro puisque tu ne me connaissais pas. Mais je n'ai pas fait ce que je voulais faire et je t'ai menti comme à tous les autres. Comme tout le monde le fait. Mes amis savent très bien que je ne suis pas à l'aise avec les émotions fortes, que je n'aime pas ça et...

Il me regarde, regarde le soleil, me regarde à nouveau.

- Merde Jonas on n'a pas toute la journée devant nous. Je parle trop dans le détail, sourit-il nerveusement en se passant une main dans les cheveux. Tout le monde sait que je suis gay, mais c'est faux.

Si je m'attendais à ça ! Je fronce les sourcils, ne trouvant aucune explication rationnelle à ce mensonge.

- Ne réfléchis pas trop au pourquoi du comment, je vais te le dire, glousse-t-il sans vraie joie.

GuerrièreWhere stories live. Discover now