36. Infiltrations (part. 5)

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J'agrippe le poignet de Matt et le tire vers moi. En moins de deux secondes je me glisse sous le lit en l'entraînant avec moi. Une fois collée contre l'extrémité de la tente je tire Matt par sa veste pour l'aider à sa faufiler. Le lit est trop bas pour qu'il puisse passer. Les voix se rapprochent. Elles sont devant la tente. Je remonte mes genoux et le soulève le temps qu'il s'y glisse. Je le lâche plus brutalement que je l'aurai voulu. Deux personnes entrent. Je serre mon meilleur ami près de moi, priant pour qu'il ne dépasse pas. Il me fait signe que non. Pour une fois je bénie la grande taille imposante du général qui a donc un lit adapté. Soudain, une pensée me traverse l'esprit. S'il voit sa paperasse laissée n'importe comment il va tout comprendre. Je plonge mes yeux dans des pupilles cernées de chocolat. Sans un mot il me rassure. Je suis heureuse d'avoir quelqu'un comme lui qui pense à tout. Je me concentre alors sur ces voix. Un second timbre de voix, aussi rauque et cassé que s'il avait passé sa vie à crier, accompagne la langue chargée de pique du général. Ils semblent tous les deux si plongés dans leur discussion qu'ils ne voient même plus ce qui les entoure. Enfin, c'est l'impression qu'ils donnent puisque je suis intimement persuadée que si un guerrier était sur le point de faire une bêtise il le verrait avant que celui-ci n'ait le temps de la commettre.

- Maintenant que nous sommes à l'abri de tous regards indiscrets pouvez-vous enfin daigner me répondre ? s'agace l'homme le plus âgé.

- Par ici les murs ont des oreilles, ne vous l'a-t-on jamais dit ?

- Cessez de tourner autour du pot voulez-vous.

Je retiens mon souffle. Je ne sais encore comment nous allons nous sortir de cette situation, mais pour l'instant je suis certaine que cette écoute ne peut être que bénéfique.

- Vous n'avez pas besoin de connaître cela maintenant. Vous saurez tout en temps et en heure.

Au son guttural qui me parvient je devine que son interlocuteur se mord la lèvre pour ne pas répliquer.

- Comment pourrai-je préparer notre section si je suis ignorant concernant la marche à suivre.

- Ma section voulez-vous dire, rectifie-t-il sèchement.

Une vague de colère et de mépris s'enroule autour de mon cou. Il parle des guerriers comme s'ils étaient de vulgaires objets qu'il possédait. Personne n'appartient à personne. Cette possessivité me retourne l'estomac.

- Je vous le demande une dernière fois général Victhorion, sa voix précédemment agacée a repris toute sa souplesse plie baignée de soumission.

Matt attire mon attention. Il me fait comprendre qu'il veut que je déterre un piquet. Je secoue la tête, il n'en est pas question. ET si le tissu retombait et qu'ils le voyaient ? Je le regarde avec de gros yeux. Il lèves les siens au ciel et me fait comprendre qu'il y a déjà pensé et qu'il sait ce qu'il fait. Je secoue la tête, quémandant des explications. Tandis qu'il tente de me faire comprendre silencieusement ce qu'il veut faire, je l'arrête d'un geste. Ils parlent et je ne veux pas laisser passer une information croustillante.

- ... votre plan une fois arrivés aux abords de Ew York ?

Victhorion prend le temps de respirer et de retourner quelques papiers de son bureau. Mais je ne jette pas un œil à Matt, la réponse m'intéresse trop.

- J'ai les coordonnées d'un bâtiment. Certains guerriers y iront en repérage pour observer ce qu'il en reste. Puis nous entrerons en jeu par la suite. Vous mènerez l'éclaireur de chaque unité à cet emplacement. A votre retour j'exige un des rapports les plus complets qu'il n'est jamais existé. Evidement revenez avec tous les hommes que je vous aurai prêté cela va de soi.

Je suis trop concentrée sur ses paroles pour que sa vision des guerriers m'énerve encore plus.

- Pensez-vous être moins stupide qu'à l'habitude pour y parvenir ?

- Oui général.

Je devine qu'il incline la tête en signe de respect, cependant il est ailleurs cela s'entend. Certainement pense-t-il à comment se déroulera cette mission.

- Maintenant déguerpissez.

- Général, merci je...

D'un claquement de langue, Victhorion l'arrête. Je ne vois pas ce qu'il fait mais son interlocuteur sort si vite que je n'ai pas le temps de m'en rendre compte avant que celui-ci soit dehors. Je n'entends plus un son. Je retiens ma respiration de peur qu'elle me trahisse. Mon cœur s'emballe et j'ai l'impression que celui-ci résonne dans toute la tente. Tout d'un coup j'ai l'impression que le lit m'écrase, que je vais étouffer. Je panique. Je ne peux pas bouger, je ne dois pas bouger. Comme si le lit m'écrasait, un étau se referme autour de ma gorge, me compresse le visage, m'aspire toute liberté de mouvement. J'ai envie de crier, mais je ne peux pas, je ne dois pas. Je ne peux plus respirer, plus rien ne passe dans ma gorge. J'ai l'impression que mon propre corps veut me tuer. J'essaye de me calmer. Mes paupières ne cessent de cligner, cherchant à comprendre ce qui m'arrive. Je sais que je n'étouffe pas vraiment mais cela ne change rien à cette suffocation qui m'étreint. Dans ma détresse j'arrive du moins à ne rien commettre qui risquerait nous faire remarquer. Contrôle-toi. Ce n'est rien. Je n'entends plus Victhorion. Et s'il savait que nous sommes là ?

Soudain, les doigts de Matt s'entrelacent aux miens et tout s'arrête en moi. Petit à petit sa chaleur réconfortante se répand et mon angoisse reflue. Ce n'est que maintenant que je me rends compte qu'il y a du raffut dehors. Matt secoue ma main et je tourne ma tête vers lui. Il me questionne sans rien dire. J'acquiesce en prenant une grande respiration. Matt articule silencieusement trois mots : « Il est parti ». Une question me passe par la tête mais sa réponse la suit de près. Il est sorti à cause du bruit, il va bientôt revenir. Matt redresse ses genoux et s'extirpe de sous le lit en un claquement de doigt. J'en fais de même avec une simple roulade sur le côté. Avant de sortir de la tente, Matt se baisse et soulève une mince partie du tissu coincé entre deux piques. Il se redresse et me fais signe de faire comme lui. Il écarte les pans cachant l'entrée de la tente et sort. Je le suis. Naturel Tery, soit naturel. Il contourne la tente d'un pas normalement rapide. Maintenant derrière cet habitat de fortune, nous continuons, la tête à peine baissée, les épaules détendues, les yeux rivés vers les chênes. Le bruit se calme. Nous n'accélérons pas pour autant notre démarche. Je vois la fin du campement approcher à vive allure. Pour autant j'ai le sentiment que nous ne l'atteindrons jamais.



GuerrièreWhere stories live. Discover now