41. Engloutie

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Roméo : Elle parle ! Oh ! parle encore, ange resplendissant ! Car tu rayonnes dans cette nuit, au-dessus de ma tête, comme le messager ailé du ciel, quand, aux yeux bouleversés des mortels qui se rejettent en arrière pour le contempler, il devance les nuées paresseuses et vogue sur le sein des airs ! 

 William Shakespeare, Roméo et Juliette




Bientôt, le silence reprend ses droits et me chuchote que c'est terminé. Le danger s'est envolé – pour l'instant. Il n'y a plus aucune créature en vie. Mes mains serrent désespérément Wyden. Je ne le lâcherai jamais. Mes yeux sont plongés dans les siens, captant chaque once de douleur et d'espoir dans son regard. Il est bien là, vivant, et je ne le laisserai pas partir. Plus rien n'a d'importance.

Soudain, quelqu'un se jette à genoux devant lui. Enfin débarrassé des créatures, Thaym prend la main de son ami afin de voir l'ampleur des dégâts. Il s'essaie à différents tâtons sans trop avoir l'air de savoir quoi faire.

- Ecarte-toi. J'ai déjà vu mon père faire ça, affirme Jonas en gardant son sang-froid.

Il pousse Thaym et prend sa place. Jonas ferme les yeux tout en appuyant à l'aide de ses deux pouces sur l'intérieur du poignet de Wyden. Il touche son front et observe ses yeux. Il me lance alors un regard hésitant.

- Je peux ? demande-t-il en posant ses doigts sur mon bandage de fortune.

J'acquiesce. Evidemment qu'il peut, je lui ferai confiance les yeux fermés. Lorsque le tissu tombe, une mare de sang apparaît sur les côtes de mon co-équipier. Cependant, je suis soulagée de constater que le sang a cessé de couler abondamment.

- Quelqu'un a de l'eau ?

Je m'empresse de sortir ma gourde de mon sac et de la tendre à Jonas. Celui-ci serre la mâchoire et commence à nettoyer le torse de Wyden. Tandis que Jonas passe un brin de tissu jaune imbibé d'eau, Wyden grogne de douleur. Je prends alors son visage entre mes mains en lui caressant les joues.

- Chuuute, chuchoté-je doucement.

Peu à peu, une entaille asymétrique, semblable à un gribouillis, apparaît distinctement sur le côté gauche de son torse. Dans l'obscurité, je ne peux affirmer avec certitude si elle est profonde ou non, cependant un morceau de griffes est resté coincé en lui. Jonas extrait une bouteille de mon sac : du désinfectant. Il me regarde en se mordant l'intérieur de la lèvre. Ça va faire mal, mais il faut passer par là. Alors que Jonas en imbibe sa compresse et se nettoie les doigts avec, je me penche au-dessus du visage de Wyden.

- Tout va bien se passer, ce n'est rien, je murmure au creux de son oreille.

Seul lui peut m'entendre parler. Mes doigts touchent tendrement son visage tandis que je lui raconte tout et n'importe quoi afin de lui occuper l'esprit. Soudain, il se met à gémir de douleur.

- Je suis là pour toi.

J'embrasse sa joue. Il commence à bouger souhaitant que Jonas cesse de le faire souffrir. Nous y sommes presque, allez Wyden. Jonas est en train de retirer la griffe. Je ne sais pas quoi faire pour le calmer, alors, sans réfléchir, je pose mes lèvres contre les siennes. Instantanément, Wyden se fige et cesse de gigoter. Une sensation étrange afflue dans tout mon corps alors que je me détache de lui. Ses yeux sont grand ouverts et ne me quittent plus du regard tandis que Jonas noue un bandage autour de lui. Son cerveau a comme cessé de fonctionner. Il ne comprend pas ce qu'il s'est passé, mais cela l'a laissé dans un tel trouble que j'en suis moi-même toute chose. J'entends vaguement Jonas parler sérieusement aux autres. Seulement, j'ai l'impression que mon ventre, ma tête, mon cœur, tout mon corps va exploser sous le coup de ces émotions. J'ai le sentiment d'être une cocotte-minute bouillonnant de sentiments parfois contradictoires. Et si je m'approche encore de Wyden j'ai bien peur qu'elle explose. Cependant, j'aime cette sensation.

Matt pose sa main sur mon épaule, me ramenant de force à la réalité. Je secoue alors imperceptiblement ma tête, chassant ces pensées-là quelques minutes de mon esprit. Suite aux différentes questions, je me reconnecte avec notre but. Je prends une courte inspiration et décris ce que j'ai pu déduire de mon petit espionnage. Je leur fais part de mes observations, de mes suppositions et des groupes d'éclaireurs prévus.

- Dix minutes ! s'exclame Shesy.

J'acquiesce. Ils devaient partir dans dix minutes lorsque je les ai quittés.

- Il est clair il faut absolument retrouver ces trois groupes, sans exception, affirme Thaym.

- Cela est étrange que Victhorion ait fait un trinôme, même si cela peut très bien être une protection supplémentaire vis-à-vis de son bras droit, soupçonne Matt.

- Ou alors puisqu'ils doivent se rendre dans un lieu plus important, je soumets.

- Ou un endroit où y a plus de créatures, propose Jonas.

Alors que Thaym ouvre la bouche, souhaitant émettre une nouvelle hypothèse, je le devance. Peu importe la raison exacte, nous aurons tout le temps d'y réfléchir lorsque nous aurons retrouvé les éclaireurs. Si nous voulons avoir une chance de les apercevoir, nous devons y aller tout de suite.

- S'ils n'ont pas déjà fichu le camp, bredouille une voix faiblarde derrière moi.

Je me tourne vers mon ancien co-équipier. Ses parfaites iris peinent à se réapproprier leur éclat. Alors qu'il tente de se redresser, il étouffe un gémissement douloureux et s'affale maladroitement sur cette terre humide. Je me retiens vainement de me précipiter près de lui. A genoux, je l'installe à semi-assis en coinçant son sac sous ses épaules.

- Je peux le faire tout seul, t'en fais pas.

- Mais bien sûr, c'est ce que j'allais te dire, je réplique ironiquement.

Tandis que Wyden grogne qu'il nous ralentit, je l'ignore en décidant que l'on ne peut pas le laisser là tout seul. J'aimerai pouvoir rester pour m'assurer que tout va bien et qu'il ne lui arrivera rien. Seulement, cette mission est bien trop importante pour moi et je ne suis pas indispensable à Wyden. Quelqu'un peut bien le protéger à ma place.

Thaym s'avance. Après tout, c'est son co-équipier depuis qu'ils habitent dans la même ville, ils se connaissent bien mieux que ce que je pourrai un jour prétendre je suppose. Le blond me sourit d'un signe de tête : il s'en chargera et je n'ai pas à m'inquiéter. Inconsciemment, je relâche l'air que je retenais. Alors que le regard de Wyden délaisse son entêtement, il m'intime de faire attention à moi.

- Tu m'as déjà appris énormément de choses. Nous allons très bien nous en sortir tu verras.

Je me relève rapidement et ce n'est qu'à cette sensation froide sur ma paume que je me rends compte que je lui avais pris la main quelques instants auparavant.

- Dépêchons-nous, s'exclame Matt sans plus tarder.

J'hoche la tête, déterminée à les trouver malgré cet incident. Mon regard se plonge dans celui de Wyden, lui donnant toute la force, l'envie et la motivation que je peux y faire passer. Puis, d'un sourire de remerciement, je dis aurevoir à Thaym.


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