40. Détermination (part. 3)

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- J'étais encore au début de mon Examen lorsque j'ai trahi Le Conseil. Je me suis enfuit pour rejoindre Tery qui avait été exilée. (Il reprend brièvement son souffle.) Le Conseil sait qu'elle est la chose la plus chère à mes yeux et c'est pourquoi, pour me punir, il veut la torturer de la manière la plus ignoble qu'il soit. Jusqu'à ce qu'elle meure. Le général ne doit pas mettre la main sur elle...

Je ne veux pas que tout le monde dramatise la chose. Ce qu'il dit est vrai, mais je ne laisserai pas faire Le Conseil.

- C'est pour ça que... commence à prendre conscience Wyden avant que je ne lui coupe la parole.

- De toute manière ils ne m'apercevront même pas. Et puis, je ne vais pas rester ici les bras croisés à attendre qu'une unité vienne me chercher.

J'en ai marre de disserter tranquillement ici alors que Victhorion se prépare à mener à bien sa mission. Je dépose mon sac et m'avance. J'irai un point c'est tout. Je l'aime, mais Matt n'a pas à décider à ma place.

- Tery s'il te plaît...

Même si le ton de sa voix me donne envie de lui faire un câlin, je ne l'écoute pas. Une main attrape mon poignet.

- Ne t'entête pas pour quelque chose d'aussi futile. Laisse-moi y aller à ta place, m'intime Wyden.

Son anxiété transparaît dans sa voix tandis que ses yeux me transmettent une montagne d'émotions. Ses doigts glissent entre les miens m'invitant à dire oui. Mon regard s'adoucit mais ma volonté reste de marbre.

- Je veux y aller. Et je ne laisserai pas une menace du Conseil me dicter ce que j'ai à faire.

Je retire ma main de la sienne et m'éloigne en courant.

Mes yeux furètent à la découverte de chaque brindille pouvant trahir ma présence. Mes pieds se posent au sol avec précision, calculant chaque pas. Je repère aisément le sentier qu'a emprunté les guerriers. Un fond sonore me parvient et je ralentis. Je courbe le dos, utilisant les hautes herbes à mon avantage. Je marche derrière un arbuste. Les mouvements brusques sont les plus facilement remarquables. Je jette un coup d'œil par-dessus mon épaule. Je peux encore avancer. Dans un mouvement muet, je me glisse dans l'ombre d'une plante touffue. Je respire calmement.

Je suis suffisamment proche. Cela ne sert à rien que je me cache dans leur campement. Je n'ai pas réellement besoin de les écouter, je dois seulement repérer le moment où ils souhaiteront partir. Je m'accroupis, enfonçant involontairement mes pieds dans de la terre boueuse. En poussant quelques grosses feuilles verdoyantes, j'aperçois un groupe de guerriers se partageant des rations de viande séchée. Mon ventre grogne et je maudis mon jeûne journalier. J'ignore mon estomac qui crie famine et me concentre sur ma vision. Ah, ça y est : Victhorion sort de sa tente. Je n'aurai pas attendu. Ses cheveux projettent une lumière irréelle dans ce crépuscule pressant. Son ombre s'étire, allongeant sa carrure. Ces rayons chaleureux s'écrasent contre sa froideur dans un tableau contradictoire dérangeant. Mais ce n'est qu'un homme parmi d'autres. Sa mâchoire serrée semble donner des ordres, que je n'entends pas, sans même esquisser une ondulation. Mes sourcils se froncent et ma concentration s'accroît. L'homme aux cheveux grisonnants, se tenant à ses côtés, acquiesce vigoureusement à la manière d'un militaire. Celui-ci m'a bien l'air d'être son bras droit. Il s'agit de l'homme qui parlait avec lui le soir où, avec Matt, nous nous étions infiltrés dans la tente du général.

Je crois entendre un bref sifflement lorsqu'une petite dizaine de guerriers se rassemblent autour de l'homme qui m'a poussé or des murs de ma propre ville. Il doit leur donner des consignes puisque cette courte réunion est ponctuée de multiples hochement de tête. Ses yeux scrutent chacun des guerriers, les jaugeant d'un coup d'œil. Il doit se demander s'il peut confier une mission si importance à de telles personnes. Il s'agit tout de même là de la survie de l'hériter de notre - je me reprends mentalement - de leur Aîné. Le doyen sépare cette unité en trois groupes. J'hoche la tête en retenant chaque détail indispensable qui pourrait inconsciemment m'échapper. Ce sont des binômes alors que nous devrons suivre, j'acquiesce. Je me demande s'il a choisi ces combinaisons au hasard ou s'il a regroupé chaque Frère ensemble : comme Matt est le mien depuis la cérémonie suivant celle de mon anniversaire. J'aurai tendance à penser que cela a aucune importance, mais en réalité non. Deux Frères combattent tous les depuis toujours. Ensemble ils sont plus forts, mais si on les sépare ils deviennent un peu plus vulnérables. Je plisse les yeux afin d'espérer entrevoir les paumes de leurs mains. Certes, il est possible qu'ils se soient blessé à cet endroit, mais chaque Frère a une entaille dans sa main forte. A cette pensée, mes doigts caressent la cicatrise réconfortante au creux de ma main gauche. Mes doigts en écrasent les boursouflures qui se sont incrustés à force que je plie ma main lors de la phase de cicatrisation.

Mais peu importe, mon attention est pleinement adressée à la section. Victhorion s'adresse bien trop à son bras droit pour que celui-ci ne fasse point partie de la mission d'éclaireur. D'autant plus qu'il me semble me souvenir que ce dernier réclamait des informations sur l'emplacement du remède au général dans l'optique d'aller sur place au moment prévu. Et ce moment est arrivé. Aucun guerrier n'est seul. Il y aura alors un groupe de trois dans lequel ce bras droit se sera incorporé. Il est logique que ce soit ce groupe-là qui ait la mission la plus importante et la plus précise. Il est l'élément que nous ne devons jamais perdre de vu à l'avenir. Soudain, je ne sais comment j'arrive à percevoir cela, mais Victhorion se tend. D'un naturel peu expressif, il reste fixe. Et se retourne alors sans explication et s'écarte loin d'eux et de moi. Après quelques pas seulement, de dos, il lève sa main en l'air et fait un geste que je connais très bien pour avoir vécu avec un guerrier toute ma vie. Ils déguerpissent dans dix minutes.

Je ne dois pas perdre de temps. Je vérifie les alentours et m'écarte sans me faire voir le plus rapidement possible. Je dois rejoindre mes amis le plus vite possible. Une fois or de vue, je cours comme si ma vie en dépendait, ce qui - ironiquement - est indirectement le cas. Je cours à en perdre haleine sans me préoccuper de savoir si mes jambes tiendront le coup. Si je le veux, tout se passera bien. Mon père m'a bien appris que si le mental est là le corps ne peut que suivre.

Mes pieds fauchent le sol. Mes poumons se gorgent d'air et le recrachent aussitôt. La nuit tombe, troublant ma vue. J'aperçois au loin des silhouettes en mouvements. Je me concentre afin de ne pas glisser dans ce semblant de marais. Je ne fais pas attention au bruit qui m'entoure. Ma vue se trouble quelques instants. Ce n'est rien. Mon corps peut suivre le rythme. Je dois aller les chercher au plus vite. Nous n'avons plus que huit minutes.

Je hurle. Une ombre passedevant moi. Je pile. Mes talons s'enfoncent dans la boue. Des griffes s'enfoncentdans mon épaule. La stupeur me paralyse.

Guerrièreحيث تعيش القصص. اكتشف الآن