11. La Séparation (part. 2)

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Un hoquet de surprise s'échappe de ma bouche. Il vient de déchirer ma robe !

- Mais qu'est-ce que vous venez de faire ? je formule énervée.

- Je viens de libérer votre petit secret, s'exclame-t-il.

Je le regarde offusquée. Je sais qu'il a raison, mais cela ne sert à rien que je ne le dise, il le sait déjà. Du dos de la main, je claque la sienne. Je replace ensuite mes cheveux de manière à cacher se petit désastre, tandis que lui me regarde amusé. Je lui lance un regard noir et je me place face à Brion.

- C'est bon ? Je peux sortir maintenant ? je réclame.

- Il est rare que l'on demande cela, mais oui, affirme Brion.

Il ouvre la porte dans un bruit strident en marmonnant qu'il faudrait huiler les gonds. Ce n'est que maintenant que j'aperçois la dimension de celle-ci. Sa profondeur fait la taille de ma main.

Je fais un demi-tour et observe les hommes se tenant en face de moi. C'est certainement la dernière fois que je les vois et la dernière fois que je mets les pieds ici. Quitte à ce que je prononce une dernière phrase dans ma ville, autant que celle-ci soit joyeuse.

- Enchanté de vous avoir rencontré, dis-je ironiquement et je me dirige vers l'extérieur.

Je passe l'encadrement et pose un pied en dehors des murs. J'avance de quelque pas. Je regarde mes pieds. Il n'y a que de la terre à cet emplacement et point d'herbe, la preuve du grand nombre d'exilés que Le Conseil rejette.

J'entends le claquement métallique de la porte. Je sursaute de me tourne vers celle-ci. Une plaque de fer encastrée dans un immense mur de pierres. Ce n'est que maintenant que je réalise ce qu'il vient de se passer. Je pivote sur moi-même et regarde ce qu'il se tient devant mes yeux.

Une plaine s'étant autour de moi. Après elle, est dressés quelques arbres puis une forêt.

Je suis seule, dans une plaine, désarmée, sans protection vestimentaire. Et tout cela à la merci des créatures. D'autant plus que je ne réalise qu'à présent que je n'ai jamais vu de créatures. Mis à part dans les récits de mon père et de Matt, je ne sais pas grand-chose des vrais combats contre les créatures. Cette idée m'horrifie d'autant plus puisque je ne possède aucune arme. Et Brion ne m'apportera mes affaires que demain, à l'aube, juste avant qu'il ne commence son service.

Oui, mes affaires ! Il faut que je trouve la rivière. Je réfléchis. Le tribunal se situe au Nord de la ville. Je me souviens bien des cartes accrochées, la rivière entre par l'Est de la ville et sort par le Sud.

Je me place bien droite, dos aux murs, et je tends mes deux bras comme pour recréée la rose des vents. Je ferme un instant les yeux et réfléchis. L'Ouest est à ma gauche et l'Est à ma droite. Je soulève alors mes paupières et me mets à marcher dans cette direction, pas à pas. Je longe le mur droit en espérant trouver un peu d'ombre. Mes scandales se prennent dans les herbes hautes et cela me démange les pieds.

Toutes ses végétations m'arrivent au niveau des cuisses et me les griffent. Le soleil est haut dans le ciel et peu de nuages ne se présentent. Je marche.

Cela fait des heures que je marche. Je pose toujours un pied devant l'autre. Je ne m'étais jamais autant rendue compte de la largeur et la grandeur de notre ville. Certes nous n'habitions pas en son centre, mais nous ne logions pas non plus aux extrémités. Je comprends alors que lorsque je passais par le milieu de Western, je gagnais un temps fou ! Puisqu'à présent, le soleil me tape sur la tête et ces immenses murs ne semblent pas vouloir me donner un semblant d'ombre.

Je soulève les pans de ma robe pour pouvoir avancer plus vite. Je ne sais pas quelle heure il doit être. Dix-sept heures peut-être ? Je n'en sais rien. Ce paysage semble s'étirer à l'infini. Toujours les mêmes plantes, toujours le même soleil, toujours les mêmes murs insensibles à ma sanction. Mon ventre commence à crier famine et je n'ai rien à me mettre sous la dent.

J'ai souvent rêvé d'aventure lors de mon enfance, de partir en mission. Je m'imaginais courir à travers les arbres, à la poursuite de créatures. Mais je ne pensais pas que la réalité ressemblerait à cela : marcher à l'extérieur des murs, seule, dans une robe, sous la chaleur, sans armes, vulnérable, avec la faim et la soif au ventre. Je me suis entraînée durant de longues années. Seulement j'étais au frais dans une salle, armée et surtout avec des vivres à disposition.

Au loin, je vois quelques reflets. Je plisse les yeux, mais impossible de voir à quoi cela correspond. Cette nouvelle concentration me fait oublier la brûlure des herbes sur mes jambes nues. J'avance plus prudemment. Un léger bruit commence à se faire entendre. Quelques remous parviennent à mes oreilles.

Lorsque je suis à une distance raisonnable, j'ouvre grand les yeux. Ces reflets ne sont autres que ceux de l'eau. L'eau de la rivière. Sans attendre une seconde, je remonte un peu plus ma robe et m'élance à travers champs. Je cours comme j'en ai l'habitude lors de mes entraînements.

Une fois sur la rive, je me jette à terre. A genoux, j'approche mes mains de l'eau. Je positionne mes paumes en coupe et les remplit d'eau. Je les rapproche de ma bouche, les mains tremblantes. Je ne suis pas habituée à toutes cette chaleur, cet effort, ce manque et ces émotions.

Après avoir étanché ma soif, je me relève. Rester des heures en plein soleil me donne mal à la tête. J'enlève mes scandales, maintenait abîmées. Je regarde autour de moi. Aucun homme et aucune créature en vue. Je passe mes mains dans mon dos et dégrafe ma robe. Puis, je la passe par-dessus ma tête. Je la dépose sur les quelques galets proches de l'eau. Seuls les pans sont salis et en mauvais état. Enfin, si l'on ne compte pas ma bretelle gauche soigneusement déchirer par le général Victhorion, notez l'ironie.

Je dépose un pied dans l'eau glacée, puis suit le deuxième. Je m'immerge entièrement dans la rivière. Les griffures de mes jambes me démangent d'autant plus. Le froid vient ensuite atténuer cette sensation désagréable. Je me repose un peu dans ce moment de fraîcheur, tout en faisant attention à ne pas me laisser emporter par le courant.

Le soleil a légèrement baissé dans le ciel. Les jours s'allongent, mais ils ne le sont pas encore assez pour rester éveillé jusqu'à 21 heures.

A l'heure qu'il est, Matt doit déjà être rentré de son travail. Il doit sûrement être en train de ranger les affaires qu'il avait sorti, au cas où Le Conseil choisirait de l'exiler. Il devrait être avec moi. C'est moi qui devrais être condamner à être soumise à l'Examen pour le restant de mes jours, aussi courts soient-ils. Ou alors il doit être en train de se faire à manger. J'espère qu'il a fait les courses, parce qu'il ne restait plus grand chose...

Mon ventre gargouille. Ce n'est pas croyable, même de là où je suis, je me préoccupe de savoir si les tâches ménagères sont faites. Moi qui ne voulais pas les faire, je me retrouve à penser à cela alors que je peux me faire attaquer à tout moment. Je secoue la tête, décidément, le monde est une étrange chose.

Grâce à ma main, je récupère un peu d'eau et me la dépose sur le haut du crâne, il est brûlant. Cela me fait penser qu'il faudrait que je me trouve un abri pour la nuit. Il faudrait que j'aille voir dans la forêt s'il n'y a pas un recoin ou je ne sais quoi où je pourrais me cacher. Mais avant cela, il faut que je repère la fameuse grille où Brion me retrouvera.

Je me tourne dans le sens du courant et me laisse porter par celui-ci. Je reviendrais juste après. C'est tellement agréable de se laisser porter, les jambes dans le vide. Après un virage qui longe le mur, un second suit et s'engouffre dans la ville. Je me retrouve alors collée à une grille faite de plusieurs barreaux aplatis. Je constate que mon bras peu passer au travers. Cependant, concernant le reste de mon corps, ce n'est pas la même conclusion, il est bien trop volumineux. Un enfant le pourrait par contre. J'espère que les créatures ne font pas d'enfants, ou en tout cas pas de la même taille que les nôtres, sinon Le Conseil risquerait d'avoir de mauvaises surprises. Certes, il m'a jeté de ma propre ville, mais ce n'est pas pour autant que je lui souhaite du mal.



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