44. Une vague dorée tâchée de rouge (part. 2)

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- Qu'est-ce donc ? demandé-je, feignant l'innocence.

- Je pose les questions, réponde-il en même temps que son bras droit qui, de son côté, explique que ce n'est rien qu'une simple fiole.

Victhorion tourne son visage vers Artenthus et l'égorge du regard.

- Si cela n'est rien d'autre qu'une fiole, je suppose que la garder ne changera rien à vos projets.

Alors que je joue avec le feu, je ressens une tension s'installer. Les yeux du général semblent me mettre en garde et me dire de ne pas jouer à cela avec lui. Pourtant, je ne céderai pas si facilement.

- Nous savons tous deux pourquoi je me tiens devant vous avec cela en main, ne jouons pas les ignorants cela nous facilitera la tâche. Vous voulez la récupérer ? Très bien, alors nous ferons un échange.

Je vois à son visage que le général n'aime pas du tout cette tournure, mais il ne dit rien et écoute ce que j'ai à lui proposer : notre seule carte de sortie.

- Vous garderez la fiole et nous allons tous faire comme si nous ne nous étions jamais vus.

Le général ne semble pas avoir entendu mes paroles. Je sens que Jonas n'est pas enthousiaste, il se tend. Le bras droit s'offusque. Il grogne dans sa barbe quelques phrases qui me déplairaient si je les entendais.

- Un de vous restera avec nous, proclame Victhorion. Si l'idée de revenir vous prenait, je ne serai pas aussi indulgent avec ce dernier.

Sans qu'il n'hausse le ton, sa voix, plate et lisse, rempli l'espace.

- Que se passera-t-il pour celui qui restera ? interroge Shesy.

- Il sera sous mes ordres.

Le général ne regarde pas une seconde la fille de Lesly lorsqu'il prononce cela. Son regard reste bloqué sur Matt. Je me force à ne pas contester. Il aurait pu ordonner notre exécution à l'instant même où il nous a aperçus. Il peut encore changer d'avis. Dans un soupire, il reprend.

- Je vous laisse cinq minutes.

D'un geste, il fait signe à un guerrier de sa section. Un homme se précipite, déplie un tabouret et s'en retourne. Tout en nous observant, il s'assoit doucement. Wyden fait signe à Thaym de se rapprocher. Proches les uns des autres, je regarde les visages de chacun d'entre nous. Face à moi, Thaym semble ailleurs. Sa mâchoire serrée fait ressortir sa longue cicatrice barrant son visage aux traits fins. Ses yeux émeraudes sont désemparés et fixent le vide.

- J'irai avec eux, déclare sèchement Shesy. Je serai bien plus utile à ma mère dans le cœur de leur ville en faisant partie de leur armada.

Son regard perçant a teinté ses iris de bitume. Mes yeux glissent sur ses ondulations emmêlées d'un blanc sali par la terre.

- Justement, s'il apprenne qui tu es, tu ne vivras pas bien longtemps. Pire tu deviendrais un moyen de pression sur ta mère, affirme Matt.

La concernée fronce les sourcils, cela ne lui plaît pas. Matt reprend.

- J'irai. Je connais leur façon de procéder. J'ai déjà été dans leurs rangs, ce ne sera qu'une sorte de retour aux sources, propose-t-il en haussant les épaules d'un grand naturel.

- Ce n'est pas une justification ça. Dans ce cas, j'y vais à ta place. Je suis une femme de Westen, et voir le mépris des guerriers quand ils me verront n'a pas de prix, je ris.

Je me doutais bien que nous serions plusieurs à vouloir rester. Cela se passe très souvent comme cela non ? Ce serait légitime que je reste. C'est moi qui les ai entraînés là-dedans. Ils n'ont fait que me suivre. Et si l'on remonte encore, c'est moi qui ai été exilé, par Matt. Je dois rester avec eux. J'ai toujours voulu faire partie des guerriers, alors pourquoi ne pas y aller maintenant. Me coupant dans mes pensées, Wyden pose ses doigts de pianiste pourtant abîmés sur mon épaule.

- Tery, arrête de mettre l'entière responsabilité de la situation sur ton dos. Nous sommes tous là parce que nous avons choisi de venir. Ni toi, ni Matt n'iraient. Je sais très bien pourquoi vous vouliez récupérer cette fiole. Et ce n'est pas pour retourner au cœur de Westen.

Ses sourcils froncés surplombent l'océan cendré de ses yeux. Sa peau est tirée par le vent salé et la poussière. Ses lèvres rosées sont serrées l'une contre l'autre, cherchant à ne rien laisser s'échapper involontairement de sa bouche.

- Il a raison. C'est pourquoi je vais rester ici. 

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