36. Infiltrations (part. 3)

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- Alors comme cela tu as rencontré notre cher général ?

Jonas balbutie et cela veut tout dire.

- Quoi ? Non, t'écoutes pas quand je parle, j'ai dit que personne ne m'avait vu ou reconnu.

- Tu sais ce que ça veut dire lorsqu'on répète les mêmes mots qu'avant, sans varier les phrases d'une fois à l'autre ? Cela signifie que tu sais mal mentir.

- Ne me traite plus de menteur, prononce-t-il entre les dents.

Matt lui tape quelques fois sur l'épaule et je devine qu'il sourit.

- Ne t'en fais pas, tu auras l'occasion de tout nous expliquer.

Puis, il tourne les talons. J'attends quelques instants, clignant frénétiquement des yeux, avant de retrouver Matt en m'assurant que Jonas ne m'aperçoive pas. Les herbes frôlent mes jambes lors de mon passage. Je le vois. Il est assis, ruminant. Lorsqu'il m'aperçoit il ne change pas de comportement, attendant que j'arrive à sa hauteur. Je m'installe face à lui, en tailleur. Il n'a pas l'air de vouloir engager la conversation, alors je le fais pour lui.

- Tu es sûr de toi concernant Jonas ?

- Tu as tout entendu ?

Sa phrase, malgré son intonation, ne sonne pas comme une question mais plutôt comme une affirmation.

- Je ne t'ai pas entendu, tu t'es améliorée niveau discrétion on dirait.

Son sourire n'est là que pour détourner l'attention. Je le fixe. Il ne me bernera pas comme cela pour changer de sujet. Je ne suis pas là pour parler de la pluie et du beau temps avec lui.

- Tu devrais dormir, tu vas être fatiguée demain.

- Je te retourne ce conseil.

Je n'ajoute rien et lui non plus. Puis il souffle et détend la pression qui entaillait ses muscles.

- Je n'arrive pas à croire qu'il a pu nous mentir. Pas là-dessus, il sait combien c'est important pour nous, vital même, se reprend-t-il.

- Non, justement il n'en sait rien puisque tu n'as rien voulu dire.

Avant qu'il ne me fusille du regard je complète que j'en aurai fait tout autant.

- Il doit avoir ses raisons tu ne crois pas ?

- Et j'ai les miennes pour ne plus lui faire confiance à partir de maintenant.

- Tu es mieux placé que moi pour dire que, en effet s'il l'a rencontré, Victhorion peut être très persuasif si ce n'est cruel.

Son mutisme en dit long. Comme si une guerre civile éclatait dans sa tête, répandant le vacarme et la cohue, mais que je ne pouvais percevoir que le silence extérieur à tout cela.

- Jonas avait l'air énervé contre toi.

- C'est normal étant donné que je l'accusais comme cela.

- Non, ce que je veux dire est qu'il avait l'air en colère pour une autre raison. Il t'a traité de lâche.

Matt hausse les épaules.

- Le général a dû lui raconter ma désertion quand je l'ai quitté pour te retrouver toi.

Son regard est d'une magnifique timidité qui me craquer. Je dépose un gros baiser sur sa joue. Enfin, je lui demande ce qu'il compte faire à présent. Il lève un sourcil l'air de dire « est-ce que c'est vraiment une question ? ». Ma bouche se plisse, j'incline mon visage sur le côté en acquiesçant d'un signe de tête. C'est vrai. Il va y retourner. Mais pas ce soir. Victhorion est encore dans sa tente et cela serait trop attendu.

- Tu n'iras pas sans moi.

Avant qu'il m'explique que, non, il faut l'attirer l'attention le moins possible, je précise que ceci n'est pas une question. Sur ce, je lui claque une bise et rampe quelques mètres plus loin près de mes affaires.

Je suis étonnée de constater que, le jour suivant, aucune tension n'était palpable entre Jonas et Matt. Ils font profil bas et c'est une très bonne idée. Mais moi je suis mal vis-à-vis de Jonas. Malgré tout je tiens à lui et j'aimerai comprendre ses motivations exactes. A mon avis, le général a menacé sa famille. C'est l'hypothèse la plus plausible j'imagine. Cependant si je lui en parle là, devant tous, il n'y a aucune chance pour qu'il s'ouvre. A cette pensée une vague de triste m'emplie. Tous ces conflits, ces menaces, cette pression nous pousse à nous renfermer sur nous-même. « Aime tout le monde, ne te fie qu'à bien peu » me disait mon père et c'est la phrase la plus vraie que j'ai entendu mais aussi la plus dure. Nous cachons nos sentiments et qui nous sommes vraiment aux yeux du monde pour ne pas avoir mal. Nous sommes des tortues qui rentrons la tête toute notre vie face à une menace omniprésente. Et nous sommes aveuglés. Nous ne sortons pas notre tête par peur de voir ce que cela pourrait donner. Puisque la carapace est solide contrairement à nous.

Lorsque le crépuscule s'étale enfin sur les arbustes et chênes, nous ralentissons. Ce changement de paysage nous est bénéfique. Plus de longs troncs seulement séparés par quelques buissons, nous laissant alors une grande visibilité mais également à découvert. Non, ici cela a laissé place à de touffus arbres pas plus hauts que trois mètres. Certes, cela nous ralentit légèrement dans notre course, mais ils nous cachent des potentiels regards indiscrets des guerriers. J'agrippe une feuille d'un vert pâle strié de jaune. Je la triture entre mes doigts et finis par l'arracher à sa branche. Ce soir, tout comme ce matin, il n'y a plus de viande séchée ou de céréales compressées. Il faut dire que leurs provisions, préparées pour deux, ont été consommées par le triple de personnes. Matt se désigne pour aller chasser et je décide de l'accompagner. Après tout nous sommes six maintenant et ce n'est pas un simple lapin qui va tous nous rassasier. Sur ces bonnes paroles nous déposons nos sacs, ne gardant que nos armes déjà glissées près de nos mains. Sans un regard nous nous éloignons en trottinant.

Evidemment nous n'allons pas réellement chasser, ou du moins pas du gibier. Nous partons plutôt à la pêche aux informations. Cependant, c'est beaucoup plus compliqué de ne pas faire de bruit dans ces herbes qui m'arrivent mi-mollets. Trompant nos équipiers, nous partons dans la direction opposée à l'emplacement de la section. Mais cela est seulement pour pouvoir faire une boucle et revenir vers eux un peu plus loin. Mes yeux se pose sur mon ami se mouvant avec une grâce spécifique aux guerriers. Les derniers rayons lumineux, aussi faibles soient-ils, étirent nos membres. Le ciel a pris une teinte bleue marine où encore peu d'étoiles sont visibles.

Nous arrivons aux abords du campement. Je cherche du regard un guet. Je n'en vois pas. Etrange. Un couinement attire mon attention. Ma tête suit le son et aperçoit un reflet ivoire.

GuerrièreWhere stories live. Discover now