48. Méandres et tourbillons intérieurs

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Le monde entier est un théâtre,
Et tous, hommes et femmes, n'en sont que les acteurs.
Et notre vie durant nous jouons plusieurs rôles.

William Shakespeare, Comme il vous plaira


L'obscurité s'installe peu à peu. Le frottement habituel des herbes sur mes mollets et la main chaude de Wyden me calment. Un peu. Légèrement. J'ai du mal à réfléchir. Je bouillonne encore intérieurement. J'ai envie de hurler. Hurler à m'en faire arracher la voix et percer les tympans. Oui, je pense que j'aurai besoin de ça pour commencer à réfléchir. Mais, heureusement, je ne le fais pas. La section n'est pas loin et la nuit s'infiltre dans chacun de nos pas. Je ne voudrais pas attirer encore plus de créatures.

Nous retrouvons facilement la trace du campement journalier des guerriers. L'herbe est aplatie. Je détourne le regard. Une marre de sang gît encore au sol, arrosant la terre de sa couleur pourpre. Je ne peux pas ignorer l'ombre d'un homme dormant là. Un instant je me demande si je vais prétendre ne rien avoir vu ou si je vais lui faire face. Wyden ne se pose pas autant de question. La réponse étant une évidence pour lui. Il a lâché ma main et a posé un genou au sol. La tête baissée, il a déposé une main sur le flanc du soldat. Les idées embrouillées et les mains hyperactives, je m'avance à mon tour. Ma gorge se noue lorsque je suis assez prêt pour voir ses cheveux blonds tâchés ça et là de terre et de sang. Mon doigt s'enroule autour d'une mèche encore soyeuse. Et cela me fait affreusement mal. Je touche mécaniquement mes Etoiles, à la recherche d'une ombre de réconfort. Ma lèvre inférieure se met à trembler. Mes yeux se tournent vers Wyden et constatent que son regard est trouble, embué de larmes encore prisonnières. Une goutte d'eau roule sur ma joue lorsque mon indexe lâche cette vague dorée, retombant mollement.

Et une larme perle sur la joue pâle de Wyden et ce dernier se relève brusquement.

- Ils ont dû partir par ici. Vers le Sud, prononce-t-il fermement alors que sa voix déraille.

Mon regard se pose une dernière fois sur le corps de celui qui s'est occupée de moi lorsque je ne connaissais rien à cette nouvelle vie. Je ne pourrai jamais supporter le regard de Gabany ou Faeny. En guise d'adieu, une larme vient embrasser sa chevelure. Une grande inspiration, et je suis debout.

- Dans ce cas, dépêchons-nous.

Je me force à regarder devant moi et non pas au sol. D'un hochement de tête, nous nous comprenons. Sans demander notre reste, nous nous élançons. D'une violente contraction de mâchoire, j'ordonne à ma lèvre d'arrêter ce tremblement.

Le Conseil a donné l'ordre à Matt de tuer deux de ses amis et de me tuer moi. Le Conseil a menti à toute la ville de Westen et aux guerriers qui se sont engagés volontairement dans cette mission. Il n'y a pas de remède. Alors, que sont-ils venus chercher ? Nous n'aurions pas dû croiser leur chemin. Le Conseil ne répand que mensonge et violence autour de lui. Et ces hommes en sont que la preuve-même. Le général lui obéit au doit et à l'œil. Le général. Après avoir défiguré le seul amour de Jo... de... mon ami, en l'ayant traumatisé au passage, Victhorion nous a menti et l'a égorgé. Un pique s'enfonce dans ma gorge. Je ne pensais pas avoir autant de mal à ne serait-ce que penser son prénom. Constatant cela, ma détermination et ma rancœur n'en sont que plus grandes. Je ne sais pas ce qu'ils sont venus faire jusqu'ici, pourquoi ont-ils menti à tout le monde ni qui était cet homme si différent de nous à qui Artenthus a donné je-ne-sais-quoi. Mais je veux des réponses. Et j'irai les chercher à leur source.

La nuit a fait son lit. Installée depuis quelque temps, elle somnole déjà, le laissant peu à peu tomber dans un sommeil profond. Tirant son voile bleu marine, elle nous rafraîchit. Quelques bruits traversent cet étau et parviennent à mes oreilles. Un hurlement au loin. Rien n'inattendu, cependant, je ne penser pas à cela. Mes yeux furètent, à la quête d'un signe de vie. Un reflet. Là. Je ne suis pas la seule à l'avoir vu. Lentement, nous nous approchons en nous demandant silencieusement si ce sont nos co-équipiers.

Un pied. Puis l'autre. Je cherche à camoufler le bruit de ma progression dans ses herbes en calant mon rythme sur celui de la brise estivale qui les ébouriffe. Le reflet m'assène de nouveau. Il est bas, à environ un mètre de hauteur. C'est une dague.

GuerrièreWhere stories live. Discover now