5. La Cascade (part. 2)

794 70 0
                                    

- Tery ?!

Je relève la tête et regarde, ahurit, Matt qui se tient devant moi dans son équipement de guerrier. Je suis tellement soulagée que ce ne soit que lui. Et pas un autre citoyen.

Je lui saute dans les bras, mais après quelques courtes secondes, il me repousse et regarde aux alentours.

- Qu'est-ce que tu fais ici ? Et toute mouillée en plus. Tu veux que d'autres personnes te trouvent ou quoi ? dit-il sévèrement.

- Non, je... Je voulais simplement profiter du paysage, c'est si beau. D'habitude personne ne vient ici...

- Mais tu te rends compte ?! Observer le paysage, observer le paysage ! Quand tu seras exilée, ça oui, tu auras tout ton temps pour "observer le paysage" !

Il tourne la tête vers le sentier. Après quelques regards méfiants il s'avance vers celui-ci en m'intimant de ne pas parler et de rester en retrait. Je recule doucement en entendant de nouveaux pas venant dans notre direction.

- Dis-moi, t'avances vite ! Tu as réussi à me devancer d'une petite centaine de mètres en peu de temps !

- Ah oui, mais c'est normal, je suis un guerrier !

- Moi aussi. Seulement je ne suis pas formé comme vous, je ne pars en mission moi, monsieur !

- Peut-être, mais c'est mieux et plus intéressant de partir en mission plutôt que de garder l'entrée des cellules, des coffres et des murs, toute la journée !

Ils rigolent. Je reconnais l'homme brun avec qui Matt discute. C'est malheureusement celui à qui j'avais parlé hier, au marché sur la grande place. Alors c'est un garde. Est-ce un ami de Matt ? Je n'aurais pas pu choisir un homme quelconque ? Non, il fallait forcement que je tombe sur un garde ! Bien-sûr, j'aurai dû m'en douter.

- Ah ! Brion, au fait, il faut que je rentre, on fait la route ensemble ?

- Oui, si tu veux.

L'homme, Brion, commence à partir. Et juste avant qu'il ne fasse pareil, Matt me fait comprendre d'un signe de tête que je dois rester ici. Puis, ils s'en vont, me laissant seule.

Je me laisse glisser le long du rocher, derrière lequel je m'étais cachée, dans un soupir, exprimant la fin du stresse auquel mon esprit avait eu recours. J'en ai assez de me renfermer, de me cacher tout le temps. Ça en devient pénible. Je ne peux pas faire ce dont je désir. Et pourquoi cela ? Puisque sinon je risque gros, et cela à cause d'un Aîné trop conservateur.

Conserver des faits, des traditions, des mémoires, est quelque chose de très important. Il ne faut pas oublier le passé, par peur de refaire les mêmes erreurs. Le passé nous apprend à avancer, à continuer quoi qu'il advienne, mais surtout il nous met en garde contre de futures actions à venir. Mais il ne faut pas non plus y rester trop fidèle, par conséquent, nous ne pouvons pas progresser et rectifier de vrais problèmes. En fonction des situations, la fidélité est une bénédiction, c'est la grâce incarnée, cependant, dans d'autres circonstances, cela est un vilain défaut faisant preuve d'une possessivité excessive. La conservation est un fait complexe, savoir trouver le juste milieu sans tomber dans le négatif que cela soit d'un côté comme de l'autre.

Toute chose, tout sentiment a une part d'ombre comme une part de lumière. La seule différence consiste à savoir laquelle des deux voulez-vous montrer ; bonté ou méchanceté ? Et il en est ainsi des humains. Un enfant ne naît pas bon ou mauvais, il fait seulement des choix, des choix qui le définissent tout au cours de sa vie. Certains s'ouvrent aux autres, pensant que la gentillesse et la générosité sont la seule manière de faire avancer les choses. Puis, d'autres se renferment sur eux-mêmes, se protégeant du monde environnant en se forgeant une armure invisible nommée agressivité ; colère ; ou impassibilité. La vie n'est qu'un enchaînement de choix et de conflits.

Les genoux ramenés contre ma poitrine, je regarde mes pieds. Ils commencent à sécher. De petites gouttes d'eau provenant de mes cheveux tombent sur la peau nue de mes jambes. Je relève la tête et observe le paysage. Le soleil cogne mon corps. J'ai de plus en plus chaud.

Je me mets debout et avance jusqu'à l'emplacement de mes chaussures, je les enfile.

J'entends quelques bruissements de feuilles. Quelqu'un marche dessus en les faisant crier. Je me déplace rapidement derrière un grand arbuste. Je me mets en position d'attaque, cachée par le feuillage. J'attends que la personne s'avance. Elle apparaît enfin, sous les rayons du soleil. Je me détends instinctivement en reconnaissant le visage de mon meilleur ami. Je décale quelques branches et le rejoins en souriant. Celui-ci m'adresse un léger sourire, puis reprend son expression sérieuse.

- Tiens, dit-il en me tendant un tissu froissé, c'est une robe propre et sèche, ça pourrait te servir.

- Merci.

Je l'attrape et la déplie, enfin, si le terme « déplier » peut convenir à un vêtement mit en boule. J'attends que Matt se retourne pour l'enfiler, ce qu'il fait en rigolant. Je me détourne de même dans la direction opposée, un sourire en coin. Je pose l'habit sec sur un rocher puis, dans un bruit, je laisse tomber par terre la robe mouillée qui recouvrait mon corps. Même si cela se serre à rien, j'essaie de m'essuyer vite fait avec mes mains, sans franc succès. J'attrape ensuite la nouvelle robe et je m'y glisse dedans. Elle est jaune et possède des bretelles légèrement plus épaisses que la précédente, ce qui laisse apparaître un décolleté.

J'époussette les pans de la robe, montrant à Matt qu'il peut se retourner.

C'est une robe d'été, mais curieusement elle ne m'appartient pas. Je pose alors un regard interrogatif sur mon ami. Il hausse les épaules et répond à ma question muette.

- C'était une ancienne robe de ma mère, et je sais que tu n'en as pas beaucoup. Je sais aussi que tu n'aimes pas trop porter des couleurs comme celle-ci, mais moi, je trouve que cela te va très bien. C'était l'occasion ou jamais ! Tu ne peux pas refuser.

Je baisse les yeux et observe ma tenue. C'est vrai que le résultat n'est pas si mal, à vrai dire, je pourrai même la trouver jolie. Cependant, je me fiche de la beauté ou de la valeur économique de mes vêtements, pour moi, tout ce qui compte sont le confort et les valeurs sentimentales.

Je me baisse pour ramasser ma robe mouillée et je l'essore rapidement. Je me dirige vers Matt, qui lui me tend le panier en osier que j'avais amené. Je l'attrape et y glisse mon vêtement.

Nous nous avançons sur le sentier en terre battu dans un silence réconfortant.

- Merci, dis-je.

Le chemin caillouteux touche à sa fin, j'aperçois un bout de pavé à plusieurs mètres.

- Pourquoi ?

- Pour tout, tout ce que tu fais pour moi.



GuerrièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant