55. Une mort libératrice

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Tout esclave a en ses mains le pouvoir de briser ses chaînes.

William Shakespeare, Jules César

Victhorion, général de Westen


Plusieurs gouttes s'écrasent sur son front. Six, puis neuf, puis onze. Mais cela, il n'en a que faire. Ce qu'il l'importe en cet instant se trouve devant lui. Un homme bien plus âgé que lui est agenouillé, ligoté, ensanglanté. Une bonne chose de faite. La jeune fille l'a lâché, le laissant s'affaler devant lui avant qu'il ne gigote pour se redresser. Les yeux pleins d'espoir et de surprise de cette fille aurait dû l'occuper d'avantage, mais ce n'est pas la priorité. Elle pourra attendre jusqu'à l'aube sans souci et, il l'espère, sans poser de questions.

En quelques phrases, il convainc ces deux jeunes adultes de partir, vite. Qu'ils ne s'en fassent pas, il saura les retrouver facilement et sans tarder. Mais avant cela, il doit régler des problèmes plus lourds de conséquences. Une fois ses anciens interlocuteurs loin, Victhorion siffle, vif. L'unité de guerriers dissimulée depuis l'amorce du crépuscule s'avance, vive et aux aguets. Cette dernière était destinée à immobiliser le sergent Mattelos et son amie. Cela était le plan qu'il s'était fixé. Discuter paisiblement avec ces deux individus de grande valeur afin d'effacer tout soupçon, puis, les mettre hors d'état de nuire au Conseil. Et enfin, faire payer l'échec de l'Examen au sergent. Torturer cette fille ne lui plairait pas, mais il devait le faire pour le bien du Conseil et la valeur de l'exemple. Ce plan était parfait et plaisait beaucoup à son bras droit. Livrer la vérité sur la mort de leurs géniteurs avant leur propre décès aurait su satisfaire ces deux dirigeants : Un plan avec une once d'humanité pour atténuer la culpabilité cachée du général et une once de sadisme pour augmenter celle qu'aurait dû ressentir Artenthus. Toutefois, cette stratégie n'avait rien avoir avec le vrai déroulement de cette soirée. Et pour cause, les deux fugitifs ne sont plus là, Artenthus est attaché au sol, et l'unité choisie le général est toute aussi surprise que ce dernier.

- Rentrez au campement, dépêchez-vous de mettre à l'abris ce qui doit l'être, ordonne-t-il.

- Oui, général, acquiesce quelques-uns d'entre eux accompagnés par les autres d'un hochement de tête.

Une fois débarrassé de ces fidèles guerriers, Victhorion accorde toute son attention au réel confident du Conseil. Ce dernier gesticule, paniqué, suant à grosses gouttes sous cette pluie grandissante. Le ciel est noir, ne laisse plus filtrer la lumière de la lune, ni celle des étoiles. Pourtant, le général discerne toujours le corps angoissé de son bras droit. Artenthus sait qu'il ne le tuera pas, il sait des choses bien trop précieuses pour cela. Néanmoins, il s'attend aux foudres des enfers. A cet instant, il hait profondément cette gamine brune qui a mit sa mission en péril. A l'inverse, le général n'a aucune pensée pour Theresy. Les actions de cette fille ne lui importent peu actuellement. Seul un de ses mots tourne en bouche dans sa tête. Un mot à la fois meurtrier et libérateur. Ou plutôt devrait-il penser, un prénom. Celui d'un jeune frère avec qui il n'a plus échangé un seul repas depuis huit années. Non qu'il ne l'aurait voulu, bien au contraire, l'envie le démange encore, mais qu'il ne le pouvait. Jusqu'à cette funeste année 2175, il partageait tout avec lui. Jusqu'à ce que le Conseil découvre sa faute. Sa grande faute. Qui lui valu le passage d'un funeste Examen. Examen où il du exécuter ses géniteurs, leur seule famille à Brion et lui. S'il ne le faisait pas ? Tirihon enverrait une unité nettoyer sa maison sans la torture et le meurtre sous ses yeux impuissants. Au fil des années en tant que général, il comprit que cela était comme la marque de fabrique du Conseil. Et, la seule personne chère à ses yeux mais encore en vie, n'était autre que son frère. La personne qui avait dû déménager dans une autre famille, alors trop jeune à l'époque pour vivre par ses propres moyens. Le frère sur lequel faisait régulièrement pression l'Aîné lorsque Victhor prenait un chemin trop personne. La seule personne qui l'empêchait de se soulever et qui l'encourageait dans chacune de ses démarches. Alors oui, jusqu'à présent il n'avait jamais regretté aucun des actes qu'il avait abattu pour le Conseil. Mais aujourd'hui c'était différent. Aujourd'hui, son frère avait été exécuté. Et avec lui, toutes ses obligations militaires. Et cela, Artenthus l'a bien compris.

Les traits tirés de son bras droit trahissent son angoisse. Même si sa voix ne tremble pas quand il le menace, ses yeux tremblent. Il sait ce qu'il a fait par le passé, il sait ce qu'il a fait sous la main du Conseil, il l'a vu à l'œuvre et il n'est pas prêt à être son nouveau jouet.

- Savez-vous depuis quand ce garde a été tué ? la voix légère et calme du général n'adoucit point les sueurs de son second.

- Alors vous avez décidé de croire une petite fille ? Ne dîtes pas de bêtises, elle a dit cela pour vous déstabiliser voilà tout.

Cependant, lui-même ne croit pas un mot de ses paroles. Et cela se sent.

- Une petite fille énoncez-vous ? Il est étrange qu'une simple petite fille puisse survivre dans un climat pareil, dans une ville infectée de créatures, allant même jusqu'à vous trancher la gorge si l'envie l'avait prise.

Tandis d'une tornade intérieure ravage des années de construction personnelle, la frigidité infernale de Victhorion givre toutes espérances de l'homme. Et, d'une insensibilité mordante, la dague ornée de sculpture du général s'enfonce dans la chair de son second. Et ce cri étouffé déchire l'emprise d'un Conseil enchaînant depuis trop longtemps un de leur guerrier.

GuerrièreWhere stories live. Discover now