45. Vérité sanglante

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Les poignards qui ne sont pas dans les mains peuvent être dans les paroles.

William Shakespeare


Ma gorge est étranglée. J'aimerai crier mais je ne le peux pas. Je ne comprends plus ce qu'il se passe. Le guerrier se tenant derrière moi serre davantage mes poignets de peur que je ne me défende. Mais non. Je me sens vide. Je ne pleure pas. Je ne ressens plus rien. J'ai l'impression de vivre dans le corps d'une autre personne, que ceci n'est pas moi, que ceci n'est pas ma vie. Oui, cela ne m'est pas arrivé à moi. Ce n'est pas possible. Nous devions simplement faire un échange, cela n'a pas pu déraper comme cela. Echange que j'ai proposé. A cette pensée, mon cœur implose et mon ventre se comprime comme si j'allais vomir. Vomir toutes ses émotions contradictoires. Vomir cette situation que je ne veux pas garder dans ma vie, que je ne veux pas garder en mémoire.

Un mouvement me fait relever la tête. Je vois Victhorion, le visage impassible, tendre du bout des doigts une dague ensanglantée. Les lèvres pincées, Artenthus sort un mouchoir de sa poche et essuie la lame du mieux qu'il peut. Puis, le général range son arme. Comment peut-il faire cela comme si de rien n'était ? Comme s'il venait simplement de nous dire aurevoir ? Une voix dans ma tête me dit qu'il en a l'habitude et cela me met hors de moi.

- Bien. Maintenant tout est rentré dans l'ordre.

- Rentré dans l'ordre ? C'est ça votre définition de la justice ? crie Wyden.

Le général fronce les sourcils comme s'il venait à l'instant de remarquer la présence d'un enfant turbulant.

- Vous nous suiviez depuis des semaines, et vous avez tentez de nous voler quelque chose d'extrêmement important. Soyez heureux qu'il soit le seul à rejoindre Hadès aujourd'hui. D'autres sont morts pour moins que cela, souffle-t-il.

Matt a le regard baissé, il ne veut plus regarder le corps inerte de son ami gisant entre nous. D'ici, j'aperçois sa gorge nouée peinant à faire rentrer de l'air dans ses poumons.

- Pouvons-nous y aller ? se force à demander Thaym.

Victhorion ne l'écoute pas et continue de fixer Matt pendant de longues minutes.

- Redresse la tête, Mattelos, ordonne-t-il.

Seulement, mon meilleur ami ne réagit pas. Il semble à bout, prêt à tout laisser tomber. Il ne veut pas affronter le regard de son ancien supérieur.

- Sergent c'est un ordre, prononce-t-il distinctement sans hausser la voix.

- Je ne suis plus sergent, mon général.

Son ton moquer et méprisant semble le mettre hors de lui. Le général s'avance de quelques pas.

- Tu n'as jamais eu le courage et l'étoffe de ton rang. Encore aujourd'hui, tu me le prouves, grince-t-il.

Matt lève la tête et le regarde, neutre.

- Tu ne cesse de me décevoir. D'abord tes parents, puis toi.

Je vois bien que Matt tente l'oreille, il ne sait pas de quoi il parle, mais son visage n'en dit rien. Il agit comme s'il se fichait de ce que lui raconte le général. Et cela l'énerve au plus haut point.

- Tu n'es qu'un bon à rien, une tapette, s'emporte-il. Je me demande ce que tu fais encore ici, devant moi. Maintenant que je t'ai vu, tu sais pertinemment que je ne peux pas te laisser partir comme cela.

Il reprend sa respiration, réfléchissant. Les mains derrière le dos, il commence à faire les cents pas en se remémorant je ne sais quoi.

- Tu sais que lorsque je vais te ramener, Le Conseil va t'exécuter. Comme le dernier général. Et cela à cause de toi : Tu n'as même pas été capable de mettre de côté cinq secondes tes sentiments. (Il secoue la tête en soupirant.) Tu y étais presque et tu as tout foutu en l'air.

Je fronce les sourcils. Comment ça « il y était presque » ? Mon regard perplexe se pose sur Matt, puis sur Victhorion à tour de rôle. Percevant mon agitation, ce dernier s'arrête et me fixe. Ses yeux translucides perturbés reprennent leur température glaciale. Et je sens que mon cœur n'est plus à l'abri. Que malgré son agoni, il n'est pas au bout de ses peines.

- Qu'il y a-t-il Theresy ? Serais-tu perdue ?



GuerrièreWhere stories live. Discover now