Chapitre 8 : Celles qui mentaient

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NOVEMBRE 1976

Le lendemain, ce n'est que vers les dix-sept heures bien sonnées que je me résolus à quitter le périmètre rassurant que décrivaient les rideaux de mon baldaquin. J'avais passé toute la journée à veiller à prier pour m'endormir ou à dormir en priant pour ne pas me réveiller. Je n'avais plus que ça, de toute façon : dormir. Dormir pour ne plus penser, dormir pour ne plus pleurer, dormir pour ne plus avoir envie de crier. Je me sentais si bête... J'avais le cœur alourdi d'une culpabilité que je n'avais jamais connue, le genre de culpabilité qu'on ne ressent qu'une fois dans sa vie et qui paraît si forte qu'elle occulte tout ce qu'il se passe autour de soi.

Je m'en voulais tellement que j'en venais à me haïr, mêlant haine et culpabilité au sein de mon petit cœur qui n'en finissait plus de s'affoler. Je m'en voulais pour tellement de raisons que mes dix doigts n'étaient pas suffisants pour toutes les compter. Et, même si j'avais essayé, je crois que je n'aurais pas pu les énumérer. Il y en avait trop, et si liées les unes aux autres qu'elles semblaient s'accrocher toutes ensemble à la manière des atomes d'une molécule, n'en formant plus qu'une, immense, énorme, et surtout trop difficile à admettre pour la jeune curieuse que j'étais : je m'en voulais de ne pas avoir compris plus tôt alors que tout se trouvait sous mes yeux depuis le départ.

J'avais beau essayer de le nier, c'était la pure et simple vérité. Que ça soit le rêve que j'avais fait, les circonstances nébuleuses de la mort de mon grand-père ou encore cette attaque à Cabourg au cours de laquelle mon arrière-grand-père avait perdu la vie dont ma grand-mère m'avait déjà parlé à Noël de l'année précédente, beaucoup de choses auraient dû me mettre la puce à l'oreille, et moi, je n'avais fait que les ignorer. Maintenant, je n'avais plus qu'à affronter les conséquences de mon manque de jugeote. L'Éventrée s'était bien moquée de moi en disant que je n'avais pas à avoir peur d'elle puisqu'elle ne pouvait pas m'atteindre physiquement ! Ses mots étaient bien pires que tous les sorts qu'elle aurait pu me lancer, et ma douleur intérieure plus terrible que celle qu'auraient entraînée quelques contusions.

Quand je sortis du lit cet après-midi-là, ce ne fut que pour débiter mon premier mensonge. Pourquoi, me demanderez-vous ? Eh bien parce que je n'avais pas le choix. Dès les rideaux écarlates de mon lit tirés, je fis face aux deux regards inquiets et interrogateurs d'Angel et de Becca. Elles me barraient toute possibilité d'issue vers la porte du dortoir ou celle menant à la salle de bains, et je sentais bien qu'elles ne me laisseraient jamais sortir sans avoir reçu des explications pour ma brusque faiblesse de la veille au soir. Pour être honnête, je ne me souviens plus de la débilité que j'avais sortie. Quelque chose à propos de la santé de ma grand-mère, il me semble. Un risque de maladie ou quelque chose de cette veine.

Quelle importance dans cette histoire, de toute façon ? Ce qui comptait réellement, c'était que j'avais été obligée de choisir entre faire du mal à Joyce ou mentir à Angel, et que je n'avais pu me résoudre à opter pour la première solution... Si je révélais à Angel ce que j'avais appris au sujet de son frère et de la réelle raison pour laquelle il avait été envoyé à Azkaban, je savais qu'elle chercherait à se venger et à faire payer aux deux aînés Lestrange ce qu'ils avaient infligé à Bellamy en les traînant en justice. Or cela aurait eu pour effet de briser le serment inviolable qu'avaient passé Ariane et Edwin Martins et aurait conduit à la mort de ce dernier. Et comment, je vous le demande, étais-je censée infliger à Joyce la nouvelle perte d'une figure paternelle ? Mentir à Angel revenait à moins de sacrifices mais cela ne me réjouissait pas pour autant, bien au contraire. Quelle amie étais-je pour lui cacher un truc pareil ? Quelque chose qui changerait sans aucun doute sa perception de ses parents qui, vraisemblablement, lui avaient aussi menti ? Comment devais-je continuer à me comporter naturellement avec elle tout en sachant ça ? Bien évidemment, je n'ai jamais pu répondre à ces questions. Je me suis contentée de mentir comme je savais si bien le faire, en garce impuissante que j'étais.

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