Chapitre 16 : Danse avec le feu

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NOVEMBRE 1977

Durant les jours qui suivirent, je pris l'habitude de laisser s'attarder mon regard à la table des Serpentard, comme si le simple examen des élèves qui y mangeaient allait m'aider à comprendre ce qui se passait dans la tête de mon frère. Cela ne marcha pas, bien évidemment. Hormis me confirmer que quelque chose s'était produit entre lui et ses amis, les multiples coups d'œil dont je gratifiais la table des verts et argent ne me servirent à rien. Avec la constance d'une horloge, chaque soir, Jake entrait dans la Grande Salle, s'asseyait seul ou avec Joyce et Dorcas, mangeait sans prêter attention aux regards qu'hasardaient Rosier et Regulus dans sa direction, puis quittait le réfectoire pour rejoindre sa salle commune, aussi imperturbable que de coutume.

— Tu ne saurais pas ce qui se passe chez Jake, en ce moment ? me laissai-je aller à demander à Joyce un jour où nous travaillions à la bibliothèque, elle sur sa carte d'astronomie avancée et moi sur ma dissertation d'histoire de la magie.

Elle releva la tête de son parchemin pour froncer les sourcils.

— Il t'a semblé différent ? s'étonna-t-elle.

— Bah non, justement...

— Alors pourquoi tu te poses des questions ?

— Je sais pas... Enfin, je veux dire, il a été propulsé du jour au lendemain à la tête de la plus grande fortune sorcière d'Europe, et on dirait que ça lui fait ni chaud ni froid !

— C'est plutôt une bonne chose, non ? S'il reste fidèle à son caractère même après avoir...

— Mais arrête de faire comme si tu ne comprenais pas, Joyce ! Personne ne reste impassible après une nouvelle de ce genre ! Et puis qu'est-ce que tu fais de Rosier et de Regulus ? Jake ne leur adresse plus du tout la parole ! Ne vas pas me dire que ça aussi c'est normal, ou que c'est une bonne chose !

À la mention des deux Sang-Pur, Joyce changea de couleur et referma son encrier d'un mouvement brusque.

— Il s'est passé un truc entre eux ? insistai-je malgré tout. Ils se sont disputés ? Ils ont...

— Mais je sais pas, moi ! s'énerva Joyce. Qu'est-ce que tu veux que je te dise ? Que je t'invente quelque chose ? Si je sais pas, je sais pas, merde !

Sous mes yeux ébahis, elle rangea ses affaires, les mains tremblantes, manquant de froisser son devoir d'astronomie tant ses gestes étaient précipités. Soumise à une colère dont je ne comprenais pas la cause, elle s'apprêtait à quitter le rayon de la bibliothèque dans lequel nous nous trouvions lorsqu'elle se retourna et demanda :

— Alicia, tu vois toujours Regulus ?

Ne me souvenant pas lui avoir dit un jour qu'il m'arrivait de passer du temps avec lui, je me sentis rougir et ne répondis pas.

— Bordel, Alicia... souffla-t-elle, comprenant que mon silence était un assentiment. On fait vraiment de la merde, toi et moi.

Puis, sans un mot de plus, elle tourna les talons et me planta là, en proie à davantage de questions que dix minutes plus tôt. Je ne comprenais ni son comportement ni la façon dont elle s'était braquée dès que j'avais essayé de lui tirer les vers du nez. Parce que j'avais bien saisi qu'elle savait quelque chose, le fait qu'elle prétende le contraire n'y changeant rien. Si elle en avait été au même point que moi, c'est avec naturel qu'elle m'aurait dit qu'elle ignorait tout, et non en me sautant à la gorge comme elle l'avait fait...

Ainsi, ma discussion stérile avec Joyce eut au moins le mérite de me confirmer qu'il y avait anguille sous roche. Quoi qu'il se soit passé entre les Serpentard, aucun d'entre eux n'agissait comme il m'en avait donné l'habitude lors des quatre dernières années. J'avais l'impression d'avoir affaire à des étrangers et, si dans le cas de Dorcas ou Rosier c'était bel et bien ce qu'ils étaient pour moi, le fait que Joyce et Jake fassent partie du lot rendait la pilule plus dure à avaler.

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