Chapitre 28 : Nathan le résistant

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Je ne sais plus si je l'ai mentionné quelque part ici, mais la Parenthèse Enchantée est mon invention pour l'équivalent français du Chemin de Traverse (cette histoire date de bien avant la sortie des Animaux Fantastiques 2).


JANVIER 1979

Je ne revins jamais au dortoir cette nuit-là.

Une fois mes yeux rouverts et la lâcheté de Regulus dévoilée à eux pour la troisième fois, je restai debout au beau milieu du couloir, mes pieds plantés dans le sol avec plus de solidité que mes convictions ne le seraient jamais dans ma tête, et j'observai les rayons de la lune jouer à cache-cache avec les nuages. Puis je m'approchai de la fenêtre et c'est la face rieuse du satellite que je mis à fixer, comme si ces cratères que je ne visiterais jamais allaient m'apporter des réponses, voire même me chuchoter les questions que devrait se poser mon cerveau désespérément hors-service. Comme s'ils allaient soudain me faire un clin d'œil et me montrer la marche à suivre.

Quand je me fus lassée de m'être abîmé les pupilles dessus, je me laissai glisser contre le mur et fermai les yeux. Des dizaines de lunes jaunes, vertes, rouges et bleues apparurent alors derrière mes paupières, et je m'amusai à les faire bouger de bas en haut, à leur faire décrire des figures dont j'étais la seule à pouvoir m'amuser.

C'est drôle de voir comment, cette nuit-là, ces chimères créées par ma rétine me parurent mille fois plus réelles que tout ce qui se passait dans ma vie. Leurs contours incohérents et leur inconstance étaient si naturels et innocents en comparaison de tout ce que j'avais à affronter depuis quelques années... La danse des cercles que la longue étude du satellite terrestre avait imprimés dans mon champ de vision avait bien plus de sens à mes yeux que les aveux sous cape de Regulus, que la mort de ma mère, que notre nouveau statut d'indésirable aux yeux du Ministère, et même que le Cercle, la Communauté, l'Éventrée et ma stérilité.

J'avais l'impression que ma vie avait perdu tout ancrage dans notre monde. Où était-elle, ma première année paisible, à faire connaissance avec Poudlard et ses habitants, à me taper des notes de merde sans autre raison qu'une désinvolture maladive, à traduire un bouquin pour les Maraudeurs et à piéger mon frère avec des sucreries ? Loin. Très loin. La simplicité de ma vie à cette époque-là me trouait le cœur d'une nostalgie que je n'avais nul besoin de ressentir. Même si mes rapports familiaux étaient incontestablement meilleurs qu'à mes onze ans, j'en venais à regretter l'époque à laquelle je fuyais Jake et Marly comme la peste de peur d'avoir à réaliser que j'avais joué ma part dans le désastre de notre relation. Je sentais mon esprit repartir quelques années en arrière, mon cœur l'y accompagnant joyeusement tandis que ma raison faisait tout pour me pousser à rester connectée à la réalité, toute absurde qu'elle fût.

À cette fin, je me forçai à rouvrir les paupières et à me relever. Il fallait que je marche, que je coure, que je vole, que je me crève les poumons et m'égratigne les genoux, que je sente le vent dans mes cheveux et le froid sous mes pieds, que la nature me rappelle que la cruauté faisait aussi partie d'elle. Je ne pris même pas la peine de chercher à éviter les couloirs où je pourrais retrouver Miss Teigne et Rusard tandis que je dévalais les escaliers à toute vitesse, pour le simple plaisir de me prendre des coins de murs et de sentir mes jambes trembler à cause de l'effort que je leur infligeais.

Sachant que la porte d'entrée du château était solidement fermée et sans doute surveillée par l'un ou l'autre de mes professeurs, j'arrêtai ma course masochiste qui me fit hériter de quelques bleus au premier étage. Les sens en alerte, je me servis de ma toute nouvelle baguette pour déverrouiller la porte d'une salle de classe et me glissai à l'intérieur. Contrairement aux couloirs qui bénéficiaient du halo des torches plantées dans les murs, elle était plongée dans la pénombre et, désespérément en quête de sensations qui me maintiendraient ancrée dans le présent, je ne fis rien pour y remédier alors que je refermai la porte derrière moi. L'insécurité que me procura le noir agit comme une drogue et répandit une sorte nouvelle de bien-être dans mon ventre. Guidée par cette curieuse force, je traversai la pièce et ouvris une des fenêtres. Le vent me décoiffa quand il s'engouffra dans la pièce, faisant claquer les vitres contre la pierre, et je me penchai par-dessus le rebord, avisant la distance qui me séparait du sol.

Life Always RestartsWhere stories live. Discover now