Chapitre 14 : Essence d'innocence

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ÉTÉ 1977

Lors de cette soirée d'avril, Regulus et moi parlâmes longtemps. Pas tant de ma stérilité et de tout ce qu'elle entraînait, mais je sentais que nous ne nous éloignions jamais trop de ce sujet non plus. Nous nous contentions d'échanger des paroles grandiloquentes, des consensus vides de sens qui, je ne savais comment, parvenaient à nous rassurer. Nous refaisions le monde à notre façon, comme se plaisent souvent à dire les adultes en considérant avec bienveillance les discussions enthousiastes de la jeunesse. Ça ne rimait à pas grand-chose. Mais, si ce monde qu'on inventait ne pouvait exister qu'entre nous et à l'abri dans la clairière des Sombrals, il ne nous paraissait pas moins beau pour autant.

Quoique je ne sais pas si beau est le mot adéquat. Disons qu'il était plus facile. Après tout, qu'est-ce qui pouvait être plus facile à vivre qu'une existence où les intentions valaient autant que les actes, si ce n'est plus ? Où nos lâchetés respectives – à l'égard de nous-mêmes ou bien à celui des autres – n'étaient plus jugées mais acceptées ? Ce soir-là, et bien d'autres qui suivirent, peu nous importait que j'aie passé huit ans à regarder ma famille s'effriter sans faire le moindre geste. Encore moins que Regulus n'ait été qu'un couard en laissant fuir son frère sans essayer de le retenir et en acceptant les idées de ses parents. Pourquoi nous en tenir rigueur, puisque nous n'avions jamais voulu que les choses tournent ainsi ?

Encore aujourd'hui, je ne sais si ces moments passées à discuter au voisinage des Sombrals nous avaient été bénéfiques ou non. Parce que, bien que par la suite ils nous aient régulièrement amenés à nous voiler la face en allant jusqu'à nier l'existence même de la guerre et des deux camps auxquels nous appartenions, sur le coup ils nous réconfortèrent et l'un et l'autre.

En effet, pour ma part, pouvoir parler de ma subite stérilité avec Regulus eut un effet libérateur. C'est suite à nos longues discussions que je compris que j'avais été stupide de garder tout cela pour moi. J'avais craint d'être maladroite en mettant des mots sur ce que je ressentais mais, en réalité, si cette crainte avait eu quelque réel fondement, ce n'était que parce que, avant cette soirée, j'étais incapable de comprendre ce que je ressentais. Larmes, phrases avortées et sanglots exprimaient ma peine bien mieux que ne l'auraient fait des mots csciemment réfléchis, et nimbaient le foutoir qui régnait dans ma tête et dans mon cœur avec une justesse peu commune. Et c'est au contact de Regulus que ma parole appris petit à petit à se libérer.

Marly fut la première personne à qui j'en parlai de mon plein gré. Puis Angel et Becca suivirent, de même que Charlie et Theo. Le temps qui passait aidant, j'eus également enfin le courage de répondre aux lettres de mes parents mais, à mes frères, aux Maraudeurs, à Lily ou à Joyce, je ne pus à cette époque rien confier. Ce que les uns représentaient pour moi était trop flou pour que je ne comprenne réellement quelles relations nous entretenions, tandis que je ne voulais ni de la pitié des autres ni de la culpabilité de la dernière.

Ainsi commença une période plutôt trouble pour moi, dont je ne garde de précis que les dates. De début juin à mi-juillet environ, je fus prisonnière des mêmes sentiments, trop confus pour que je puisse ici vous les décrire. « Tu avais l'air de faire semblant », m'a avoué Theo il y a peu. « Tu faisais comme si on arrivait à te réconforter alors qu'au fond personne n'était dupe. Mais c'était ta manière à toi de guérir et d'aller de l'avant. » Peut-être a-t-il raison en ce qui concernait ma manière d'agir avec lui, le reste de notre bande et Marly. Cependant, quand je repense aux deux difficiles semaines que j'eus à affronter à mon retour de Poudlard, je ne peux consciemment dire qu'il s'agissait de ma manière d'aller mieux.

Effectivement, pendant ce laps de temps, je fus tout à fait intraitable avec mes parents, et surtout avec ma mère. Je ne supportais pas de la voir veiller sur moi comme si j'étais une plante sans tuteur prête à s'effondrer au moindre coup de vent. Le fait qu'elle ait pris des jours de congés pour passer du temps avec moi me rendait folle, tout autant que ses entrées intempestives dans ma chambre afin de voir comment j'allais et ses piètres tentatives d'engager la conversation à propos du sujet qui, visiblement, l'obnubilait.

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