Chapitre 27 : Indésirables

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DÉCEMBRE 1978

Pendant les rondes qui suivirent, Regulus ne chercha plus à m'adresser la parole. Je sentis bien le regard qu'il posa sur ma nouvelle baguette la semaine suivante et les questions qu'il se retenait de poser, mais les quelques phrases que nous avions échangées semblaient avoir rappelé à lui la promesse qu'il avait faite à Jake et il était presque plus distant qu'auparavant. Je n'ai jamais vraiment réussi à savoir si cela me blessait ou pas. En fait, à cette époque, avec les victimes qui se multipliaient dans les journaux, la pression scolaire qui s'alourdissait et les sourires qui se faisaient de plus en plus rares sur les visages des élèves, j'avais l'impression d'être complètement hermétique à tout ce qui se passait autour de moi. Je posais des mains réconfortantes sur des épaules quand, lors de mes rondes, je tombai nez à nez avec un élève bouleversé après avoir perdu toute sa famille, je m'appliquais à faire mes devoirs et je tentais de continuer à avoir de l'humour malgré les ténèbres qui s'épaississaient, mais cela tenait du pur automatisme. Un peu comme après la mort de ma mère, l'impression d'avoir un trou béant dans la poitrine en moins.

C'est quand décembre arriva que mon cerveau parut se souvenir de l'existence de mon cœur, qui s'affola alors bien trop tandis que je pensais au fait que le moment que j'avais tant redouté approchait irrémédiablement. Noël. Noël et ses cadeaux, ses bons plats à déguster, la famille, la joie qu'on vous implantait, de force et pourtant de façon terriblement douce, dans la tête. J'avais beau savoir qu'Arthur allait rentrer de France et que j'allais pouvoir le revoir et, peut-être, avoir l'occasion me faire pardonner tout ce qu'il avait pu trouver à me reprocher, je savais que sa présence qui nous avait fait défaut durant l'été ne comblerait pas l'absence de ma mère, de l'amour qu'elle nous transmettait et des bonnes odeurs qu'elle faisait régner dans toute la maison. Theo le comprit d'ailleurs bien quand, dans le train qui nous ramenait à Londres, je me mis à me ronger les ongles, incapable d'arrêter la course effrénée des battements de mon organe vital.

— Eh, chuchota-t-il, profitant du fait que Becca se soit endormie et que Charlie et Angel se disputent leur traditionnelle partie d'échecs. Arrête de te torturer comme ça.

Je lui adressai un regard que je voulus dénué de toute expression mais que j'échouai lamentablement à ne pas rendre implorant, si bien que Theo passa doucement un bras autour de moi pour me rapprocher de son torse, contre lequel je me blottis sans rien dire, comme nous en avions pris l'habitude quand j'étais revenue à Poudlard après l'enterrement de ma mère.

— Merci, soufflai-je maladroitement quand, voyant que Becca s'était réveillée et nous jetait de petits coups d'œil tout en essayant d'être discrète, toujours étonnée de nous voir si proches sans parvenir à comprendre pourquoi, je me dégageai, me félicitant d'avoir réussi à garder mes larmes pour moi sans en offrir quelques-unes à la chemise de mon ami.

— Ça ne va pas mal se passer, m'assura-t-il. Pas bien, mais pas mal non plus. Il n'y a pas de raison.

J'hochai la tête, rassurée que ses paroles soient si dénuées de sens que je ne puisse ni faire semblant de les croire pour le rassurer ni avoir à me rendre compte qu'il avait raison. Puis, comprenant que j'étais à l'origine du silence gêné qui s'était abattu sur le compartiment, je pris sur moi pour afficher un sourire, qui ne fut perçu comme sincère par aucun de mes amis mais qui eut au moins le mérite de relancer la conversation sur des pentes moins éprouvantes.

Lorsque le train ralentit puis s'arrêta aux côtés de la voie 9 ¾, je fus plus longue que jamais à me frayer un chemin à l'extérieur, si bien que Becca finit par me pousser gentiment dans le dos pour que j'accélère le mouvement. Sur le quai, je fus rapidement rejointe par Marly qui, tout en m'adressant un sourire qu'elle voulait sans doute réconfortant, s'arrangea pour nous frayer un chemin à travers les familles, bien moins nombreuses que par le passé, qui nous séparaient du pilier à côté duquel mon père nous avait toujours attendus.

Life Always RestartsWhere stories live. Discover now