Chapitre 47 : Les soupirs de Theo

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DÉCEMBRE 1981

Je sortis de Sainte Mangouste au début du mois de décembre 1981. Cela faisait près de trois semaines que mon corps avait éliminé tout résidu de Villipa, mais je n'avais eu de cesse de repousser le jour où je devrais quitter ma chambre aux murs trop pâles, prétextant maux de tête, gorge sèche et vertiges pour abuser de l'hospitalité des Médicomages. Ni le médecin ni les infirmières affectés à mon rétablissement n'étaient dupes, mais ils étaient trop polis, ou peut-être trop conscients que c'était mentalement que j'étais en danger, pour essayer de me raisonner et signer une bonne fois pour toute mon autorisation de sortie.

Ils n'étaient pas les seuls à manquer de ce courage. Que ce soit mon père, Marly ou Jake, aucun n'était capable de me regarder dans les yeux quand ils me transmettaient des nouvelles de Tinworth. Ils alignaient les anecdotes futiles sans jamais me reprocher ma fuite et gardaient pour eux les prières que je pouvais pourtant lire dans leurs yeux.

Theo était à peine mieux. Lorsque je lui demandais s'il ne se sentait pas trop seul à l'appartement, il s'empressait toujours de m'assurer que Charlie, Marly et Becca lui rendaient trop souvent visite pour cela, puis soupirait, croyant que je n'entendais pas les suppliques muettes cachées dans son souffle.

Quelle égoïste j'ai pu être alors, quand j'y pense ! Que ce soit parce qu'il n'a jamais vu l'utilité de construire des barricades pour se cacher de moi ou parce qu'il est transparent de nature, je n'ai jamais eu de mal à déchiffrer les humeurs de Theo, son épiderme se faisant bien trop souvent leur messager. Mais, pendant les semaines qui suivirent mon hospitalisation, c'était pire que tout. J'avais l'impression que chacun de ses gestes n'était qu'un monologue déclamé dans une langue nouvelle, m'implorant d'arrêter mon cirque et de rentrer à la maison.

Vous vous souvenez, au tout début de mon récit, quand je vous disais que la vie finit toujours pas reprendre son cours, qu'on trouve toujours quelque chose à quoi se rattacher, que ce soit une croyance, un lieu ou des personnes à aimer ? C'est peut-être injuste pour ma famille mais, moi, c'est à Theo que je me suis arrimée après des semaines à me complaire dans la spirale descendante qui s'était ouverte sous mes pieds lors de la disparition de Voldemort.

Je ne saurais pas vous dire pourquoi, ni même comment ou quand je m'en suis vraiment rendu compte, mais il y avait dans ses regards inquiets et les saccades de sa cage thoracique lorsque, chaque soir, il accourait à mon chevet, de quoi me donner envie de me relever.

C'est débile, mais je crois que c'était encore une question de fierté. Exactement comme, il y a quelques paragraphes, je vous disais refuser d'abandonner le projet de Mr Brown au nom de la crainte que m'inspirait l'idée de revivre mon réveil à Sainte Mangouste parce que je voulais me sentir digne du rôle qu'on persiste à me prêter dans les deux guerres contre Voldemort, je devais sans doute avoir le désir caché de répondre aux sentiments que, sans son accord, le corps de Theo me confessait dans chacun de ses gestes.

Cependant, comme je vous le disais, c'est la vision que j'ai des choses aujourd'hui, dix-huit ans plus tard. Quand je signai les papiers pour ma sortie de l'hôpital, j'étais en effet loin d'avoir en tête la relation si particulière qui, invisible, s'était petit à petit tissée entre Theo et moi. À des milliers d'années lumières de là, je ne pensais qu'à l'élément que j'avais réussi à négliger quatre semaines durant et qui, un matin, s'était soudain rappelé à moi. Remus.

Évidemment, Remus ! À cette époque, et même si j'avais mis du temps à m'en souvenir, il était le seul à pouvoir me comprendre, le seul à pouvoir être aussi atteint que moi par la façon dont le monde des sorciers avait été délivré de la menace de Voldemort. Les autres avaient beau compatir du plus profond de leur âme, leur joie de pouvoir dormir sur leurs deux oreilles l'emportait toujours face aux cratères que la guerre avait laissés en eux.

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