Chapitre 45 : Victoire amère

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1ER NOVEMBRE 1981

Le lendemain matin, je m'éveillai bien avant Theo qui, la tête enfoncée dans mon oreiller, somnolait tout contre moi. J'entendais sa respiration étouffée par les plumes et je restai longtemps immobile, à fixer son dos se gonflant et se dégonflant au rythme donné par ses poumons. Je n'osais plus bouger, craignant le réveil autant que la fuite, ma nudité autant que celle de Theo.

Lorsqu'il ouvrit les yeux, le soleil venait de nous enlacer de ses premiers rayons, me laissant voir son air désorienté alors qu'il se mettait sur le dos et analysait le décor qui ne lui était pas familier. Puis il plongea son regard bleuté dans le mien et mes lèvres s'étirèrent sans me demander mon avis.

— Hey, souffla-t-il timidement une fois disparue la confusion du réveil.

Je ne répondis pas, préférant me tourner sur le ventre et me laisser prendre dans l'étau de ses bras. Je sentais son sourire contre mon épaule et ses cheveux qui chatouillaient ma nuque, et, soudain, j'étais comme sûre d'effleurer du bout des doigts l'évidence en laquelle je n'avais jamais réussi à croire lors de mes précédentes expériences.

Ses lèvres coulèrent le long de ma colonne vertébrale et je frissonnai. J'avais envie de ça et de plus, des contradictions tourbillonnaient dans ma tête et, pour la première fois, cela ne m'offusquait pas. Je ne ressentais pas le besoin de les démêler, pas le besoin de quitter l'état cotonneux dans lequel la douceur de Theo me plongeait.

— J'avais jamais remarqué que t'avais autant de grains de beauté, commenta-t-il en redessinant du bout du nez les taches de son éparpillées dans mon dos.

— Encore heureux ! marmonnai-je, fondue dans le matelas. Ça aurait été flippant.

Il pouffa et embrassa le creux de mes reins.

— T'as une tache de naissance, juste là, dit-il en la gratifiant d'un nouveau baiser. On dirait une fleur, c'est joli.

Il glissa sa main sur ma hanche pour m'inciter à me retourner. Je m'exécutai, docile, et on resta de longues secondes à se fixer l'un l'autre, laissant grandir avec plaisir le désir fébrile que l'anticipation faisait couler dans nos veines.

J'allais attirer ses lèvres contre les miennes quand la sonnette de notre appartement retentit. Je soupirai longuement.

— Sérieusement ? grommelai-je. On est aux aurores !

— Il est presque dix heures, me démentit Theo, amusé, après avoir consulté sa montre.

— Exactement ce que je disais : il est trop tôt.

Voyant que l'intrus insistait, je repoussai Theo avec regret et quittai le lit. Je passai le pyjama que je n'avais pas eu l'occasion d'enfiler la veille et traversai le salon pour aller ouvrir la porte.

— Arthur ? m'exclamai-je. Mais qu'est-ce que tu fais là ?

Mon petit frère était tout aussi peu apprêté que moi. Si lui portait des vêtements, ses yeux étaient encore gonflés de sommeil et ses cheveux se dressaient en pétard sur son crâne. Alors que j'étais toute prête à le houspiller pour être venu me déranger à l'aube des neuf heures trente-huit du matin, la mine grave qu'il arborait me fit passer cette envie et j'attendis avec un silence inquiet ce qu'il avait à m'annoncer.

— Les Potter ont été attaqués, Alicia. James et Lily sont morts.

Je n'avais toujours pas assimilé la nouvelle quand Theo, rhabillé, apparut derrière moi.

— Que se passe-t-il ? s'enquit-il.

Entendre Arthur répéter mot pour mot ce qu'il venait de m'apprendre me fit vaciller et je me retins de justesse au mur.

— Et... et Harry ? questionnai-je.

— Il est toujours vivant. Alicia, il... Personne ne sait comment, mais il a détruit Tu-Sais-Qui. Vol... Voldemort est mort. Tout le pays est en effervescence. Il y a eu des débordements de joie toute la nuit, le Ministère a dû dépêcher des Oubliators aux quatre coins du pays. Et...

Il parut hésiter à poursuivre, sentant sans doute qu'il m'apporterait le coup fatal.

— Il y a autre chose. On dit que Sirius Black a trahi les Potter. Les Aurors sont à ses trousses. Pettigrow et Lupin sont introuvables. Est-ce que tu sais quelque chose ?

Je fus incapable d'émettre le moindre son. Les paroles d'Arthur tournaient dans ma tête, mais elles ne faisaient pas sens et l'urgence que je voyais briller dans ses yeux et dans ceux de Theo ne parvenait pas à percer les barrières construites par mon incompréhension.

Je ne sortis de ma léthargie que lorsqu'une oie sauvage argentée fit son apparition dans l'appartement et déclara, avec la voix de mon père :

— Black a été localisé. Il est au Chaudron Baveur. Reste à l'appartement avec Alicia et Theo, je vous préviendrai quand tout sera fini.

Arthur et Theo ne purent rien faire pour me retenir. Ils fixaient encore le Patronus quand j'ouvris la porte d'entrée et dévalai les escaliers de l'immeuble. Mes pieds étaient nus sur le bitume gelé, mais je les ignorai et me mis à courir à toutes jambes jusqu'à Charing Cross Road où une foule de curieux se pressait déjà, fixant, incrédule, les étincelles qui s'échappaient des baguettes de Sirius et de, je le constatai après plusieurs secondes d'observation, Peter.

— Alicia !

Arthur m'avait suivi et venait de refermer sa main sur mon poignet, essoufflé.

— Qu'est-ce qui t'as pris de t'enfuir comme ça ?

Je ne l'écoutai pas et jouai des coudes pour parvenir aux premières loges de l'affrontement que je ne savais que faire pour arrêter. Je ne parvenais toujours pas à croire tout ce que mon cadet m'avait révélé, mais tout lui donnait raison, depuis les fonctionnaires du Ministère de la Magie qui émergeaient du Chaudron Baveur les uns après les autres jusqu'à la haine que je voyais briller dans les yeux de Sirius alors qu'il assaillait sans vergogne son ancien ami de sortilèges dont je ne connaissais même pas l'existence.

Arthur qui, entre-temps, avait retrouvé Joyce et Ézéchiel, attirés eux aussi sur les lieux depuis le Chemin de Traverse où mon amie s'était rendue pour s'assurer que la disparition de Voldemort n'était pas qu'une folle rumeur, dut littéralement m'arracher à la contemplation de ce spectacle improbable pour m'attirer dans une ruelle où nous serions à l'abri des sorts qui fusaient entre les deux sorciers.

C'est ainsi aplatie derrière des poubelles que j'assistai à la fin du mythe des Maraudeurs, quoique pas dans ses termes réels. Accroupi à côté de moi, Arthur me couvait d'un regard soucieux, craignant que je ne commette une folie, tandis que Joyce tentait d'apaiser Ézéchiel qui pleurait toutes les larmes de son petit corps, effrayé par les éclairs et les explosions. Mais elle eut beau essayer de le contenir entre ses bras, le garçonnet finit par s'échapper et par se mettre à courir à toutes jambes, tremblant de peur.

— ÉZÉCHIEL ! hurla Joyce. Reviens tout de suite !

Il était déjà trop loin pour l'entendre, alors elle se rua à son tour dans la foule, manquant de peu un éclair vert qui toucha à la place un Moldu qui s'effondra aussitôt, les bras en croix, provoquant la terreur des autres badauds.

Je ne pus retenir le cri d'horreur qui m'échappa. Je ne voyais pas assez bien Sirius et Peter pour savoir lequel des deux avait lancé le sort mais, au fond, peu m'importait : comprendre qu'ils venaient de tuer un innocent par la bêtise de leur affrontement public me suffisait. J'étais alors loin de me douter qu'une explosion se chargerait d'en achever onze autres avant la fin de la matinée.

De la cinquantaine de témoins sorciers présents lors du duel, je suis en effet une des seules à n'en avoir rien vu, car, venant du fond de la ruelle au même moment, un épais brouillard jaune nous enveloppa, Arthur et moi, me faisant tourner la tête si fort que je perdis connaissance alors que, derrière les poubelles, le trottoir sombrait dans les entrailles de la terre, Peter dans les égouts et Sirius dans la folie.


Quel bon moment pour finir ce chapitre... Allez, salut, on se retrouve très vite pour la suite, promis ! :)

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