Chapitre 20 : Le fléau des larmes

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FÉVRIER 1978

Je n'ai jamais eu d'aussi bons résultats que durant les semaines qui suivirent la mort de ma mère. Que ce soit en cours, où les O et les E se succédaient, ou au Quidditch, où je parvins plusieurs fois à arracher le souaffle des mains d'Elladora Simpson, pourtant meilleure poursuiveuse de l'école, pendant le match qui nous opposa aux Poufsouffle, les exploits s'enchaînaient tant je m'interdisais la moindre seconde de répit. Lors d'une conversation qu'on a eue récemment, Theo m'a confié que lui et le reste de mon entourage pensaient alors que je cherchais à satisfaire ma mère mieux que je ne l'avais fait de son vivant, mais en réalité j'essayais juste de m'occuper l'esprit pour m'éviter d'avoir à réaliser que plus jamais je ne la verrais.

Je ne m'en rendais pas compte à l'époque, mais je crois que je voulais aussi prouver à la terre entière que, même si on m'avait arraché ma mère, j'étais toujours debout. Bancale, mais entière. Avec l'enterrement que j'avais organisé de A à Z, j'avais l'impression d'être celle qui tenais le mieux le coup dans la famille, entre Marly qui accumulait les crises de larmes, mon père qui ne répondait pas aux lettres que je lui envoyais, Arthur qui n'avait toujours pas ouvert la bouche depuis le jour où Chourave était allée le chercher pour l'amener dans le bureau de Dumbledore et Jake qui avait presque disparu de la circulation.

En réalité, je pense surtout que je me voilais la face. Je ne tenais pas le coup du tout, auquel cas je serais restée fidèle à moi-même, avec la flemme qui me caractérise et la tendance que j'ai à fuir mes problèmes. Les affronter un à un comme je le faisais à cette période ne me ressemblait pas et, pour changer, c'est Theo qui me le fit remarquer.

Il faut dire que durant ces semaines, il fut celui avec lequel je passais le plus de temps. Nous n'avions pas enduré la même perte pour rien. On trouvait l'un en l'autre ce que nous n'avions pas réussi à trouver ailleurs : quelqu'un qui comprenne et qui n'ait pas cet air de pitié collé au visage. Je lui racontais comment tout le monde me traitait avec des pincettes, de peur que j'explose, lui m'expliquait le mal qu'il avait eu à refaire des nuits complètes suite à l'attaque qui lui avait pris sa mère. Lui parler me faisait du bien, m'aidait à m'affranchir temporairement de la culpabilité que je ressentais de chasser ma mère de mes pensées par mes journées trop occupées.

Je dis temporairement car, immuablement, elle finissait par me rattraper. J'avais conscience de la peine que me causait la mort de ma mère, mais le fait que je refuse de l'exprimer d'une quelconque façon me grignotait petit à petit de l'intérieur. Je n'arrivais pas à pleurer, et cela me hantait. Mais comment faire autrement, quand j'étais celle qui servait d'appui à Marly quand elle fondait en larmes ? La propriétaire des manches qui essuyaient ces traces salées de ses joues ? Je ne comprenais pas pourquoi je n'étais pas moi aussi sujette à ces instants de faiblesse, Marly étant à mes yeux bien plus forte psychologiquement que je ne l'étais – comment, sinon, survivre à la vision du cadavre d'une de ses rares amies ?

Cela finit rapidement par m'obséder. Chaque soir, au moment de prendre ma douche et de me préparer pour la nuit, je me plantai face au miroir et contemplai, non pas ces traits que je connaissais par cœur, mais ces yeux irrémédiablement secs. En me basant sur ce que je connaissais, à savoir sur Jake, Marly, Arthur et Theo, je pensais pouvoir affirmer que ne pas pleurer suite à la mort de sa mère était étrange. Voire déplacé. Et cela me retournait tant et si bien l'esprit qu'un soir je pétai purement et simplement les plombs.

J'étais en train d'effectuer ma ronde dans les couloirs avec Nathan, qui était préfet des sixièmes années de Poufsouffle, lorsqu'il entendit du bruit non loin et me proposa de nous séparer. Acceptant, je m'éloignai, baguette brandie. En recherchant cet élève perturbateur, je finis par déboucher dans un couloir qui, contrairement aux autres, ne contenait pas de tableaux mais des dizaines et des dizaines de miroirs. Voir mon reflet partout hérissa les poils de mes avant-bras, fit courir un frisson le long de ma colonne vertébrale et me rendis tout à coup fébrile.

Life Always RestartsWhere stories live. Discover now