Chapitre 43 : La chute des joueurs

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HIVER 1981

En comparaison de la croisade que j'avais dû mener contre mon père pour qu'il accepte de ne pas interférer dans mon projet de boutique avec Nathan, le convaincre de me laisser emménager seule avec Theo fut d'une effarante simplicité. S'ils ne se réjouirent pas quand je leur annonçai que je comptais utiliser ma part d'héritage pour louer un petit meublé dans le quartier Moldu jouxtant le Chemin de Traverse, ni lui ni Marly ne cherchèrent à me faire renoncer à mon idée. Alors que je m'étais attendue à devoir déployer tous les arguments que j'avais soigneusement préparés, mon père se contenta de me faire promettre de placer mon futur appartement hors des zones de transplanage et du réseau de cheminées, tandis que Marly, d'ordinaire si rancunière lorsqu'elle était tenue dans l'ignorance, haussa les épaules quand je lui demandai ce qu'elle pensait de ma décision.

— Je suis triste, forcément, me confia-t-elle alors qu'on ôtait les mauvaises herbes qui persistaient à pousser autour des mandragores jadis plantées par ma mère. Mais je te comprends. C'est pleins de souvenirs, ici, pour toi encore plus que pour nous.

Je compris au mouvement que décrivit son menton en direction du portail qu'elle faisait référence au terrain vague qu'était devenu le manoir Potter et, à nouveau, je me sentis coupable. Ma vie était un tel foutoir que j'en venais à utiliser la mort de certains pour combler le malaise que créait la survie d'un autre.

Theo ne m'a jamais raconté comment, de son côté, les discussions avec son père se passèrent. Je le soupçonne encore aujourd'hui de ne pas vouloir me faire de peine en avouant que c'était pour moi qu'il avait accepté d'en causer à son père à l'époque. Quoiqu'il en soit, c'est seul que Mr Lancaster quitta l'Angleterre, à l'aube d'une journée humide et glaciale de février, avec Theo, Angel et moi comme unique comité d'adieu.

Angel non plus ne trouva rien à redire lorsque nous lui annonçâmes que nous allions nous installer ensemble. Elle qui s'était toujours inquiétée de ce que j'étais capable de faire faire à Theo en utilisant la position privilégiée que j'occupais dans son cœur, c'était comme si elle avait enfin accepté que son meilleur ami était suffisamment grand pour faire ses propres erreurs et que, pour ma part, je tenais suffisamment à lui pour ne pas le blesser délibérément.

En fait, la seule qui parut réellement s'indigner de notre futur emménagement fut ma grand-mère qui, au cours d'une discussion par cheminée avec mon père, ne put s'empêcher de s'indigner de la permissivité de nos mœurs.

— Ils ne sont ni mariés ni fiancés, Benjamin ! s'écria-t-elle sévèrement quand mon père lui apprit que nous avions trouvé un appartement dans une rue adjacente à Charing Cross Road.

Mon père haussa les sourcils, clairement amusé par la mine choquée de sa mère que laissait entrevoir les ondulations des flammes. Comme Marly et moi qui échangions un regard complice, assises sur le canapé, il avait du mal à la prendre au sérieux maintenant qu'il savait qu'elle avait bravé toutes les règles tacitement établies par les Villevannes en s'enfuyant pour devenir musicienne et fini par épouser un gamin des rues.

— Depuis quand elle se préoccupe autant des apparences ? ricanai-je quand la communication fut coupée.

— Depuis qu'elle essaie de regagner l'estime de ses sœurs, nasilla Marly.

— Marly ! la réprimanda mon père, ne pouvant cependant retenir un sourire en coin – ma grand-mère essayait après tout bel et bien de ressusciter les liens qu'elle avait eus, enfant, avec ses deux sœurs. Vous connaissez votre grand-mère, il faut toujours qu'elle ramène tout à la norme sociale, mais ça ne veut pas dire que ça lui importe vraiment pour autant. Et puis, de toute façon, quoi qu'elle en dise, c'est trop tard : j'ai reçu une lettre de la part du propriétaire ce matin, vous récupérez les clés demain.

Life Always RestartsWhere stories live. Discover now