Chapitre 46 : Vide intérieur

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NOVEMBRE 1981

Vous le savez déjà parce que, putain, ça nous a tous sauté aux yeux à un moment ou à un autre, mais la vie est une connasse. Une déesse cruelle et cupide, pleine de cette ambivalence qui a pourtant disparu des cultes de nos sociétés occidentales. Mais, franchement, je crois qu'on est un peu injustes avec elle. C'est une connasse, ouais, elle s'amuse avec nous, elle se marre sans doute bien depuis son petit nuage en songeant aux nouveaux corps qu'elle va déserter de sa présence et en serrant la main de sa sœur à la faux, mais, je vous assure, je crois que ma volonté est une plus grosse connasse qu'elle ne le sera jamais.

Aujourd'hui, ça fait très exactement dix mois que j'ai accepté le projet de Mr Brown. Il y a eu des hauts et des bas, des pauses prolongées et des nuits devenues blanches à force d'en pomper toute l'encre pour noircir mes pages, mais je me suis acquittée de ma part du marché. J'ai raconté, j'ai revécu, j'ai ri, j'ai pleuré, j'ai regretté, j'ai eu envie de me frapper. J'ai joué le jeu. Pas toujours de gaieté de cœur, ce serait débile de croire pouvoir vous le faire avaler, mais en tout cas avec cette volonté qui, aujourd'hui, a décidé de se faire la malle.

Qu'est-ce que je peux vous dire ? Je me suis farci huit ans de ma vie en accéléré rien que pour arriver à ce moment, et voilà que cette enfoirée se casse et ne se laisse avoir par aucun des cafés que me prépare Theo ou lettres d'encouragement que m'adresse Alistair Brown. Je veux pas vous raconter ça. Je suis là pour ça, je le sais, mais j'ai envie de brûler tous mes feuillets et de me casser pour ne plus jamais revenir m'asseoir à ce bureau.

Alors je perds du temps, j'écris des idioties pour appâter la motivation qui a fichu le camp, j'essaie de me convaincre que ces paragraphes inutiles seront suffisants pour la tromper et qu'elle ramène avec elle les mots qui ne veulent plus venir à ma plume.

Est-ce que ça marche ? Peut-être un peu parce que, mine de rien, tourner autour du pot comme ça, ça me fait me sentir lâche et indigne du rôle que certains persistent à vouloir me donner dans les deux guerres que nous avons traversées. Est-ce qu'on devrait vraiment me féliciter pour avoir des convictions et avoir refusé d'y renoncer ? Je ne crois pas, sinon c'est tous les Mangemorts qui ont assassiné nos parents et apeuré nos enfants qu'on devrait acclamer et, vous en conviendrez, ce serait quand même la pire blague du siècle.

Ces félicitations, je veux pouvoir les mériter, même si je suis la seule à savoir ce qui m'en rend digne, et, cette volonté-là, elle est plus forte que l'autre qui me tire vers le bas et me dit que j'ai le droit d'abandonner ici, de hiérarchiser mes morts et de n'en honorer que la moitié.

Mais, en même temps, c'est dur. C'est dur parce que, ces deuils-là, personne n'était là pour tous les partager avec moi. C'est dur parce que, désormais, je sais que tout le temps que j'ai passé à chercher à comprendre Sirius et à remettre en doute chacun des moments que nous avions partagé était du temps perdu. C'est dur parce que, encore aujourd'hui, pour certains, le 31 octobre 1981 est synonyme de victoire. De victoire temporaire, certes, mais merde, ils ont raison, quatorze ans ça compte quand même !

Ils étaient heureux, les autres. Ils faisaient exploser des feux d'artifice en criant de joie, ils acclamaient la capture de Mangemorts en fuite, ils souriaient sur la tombe de ceux qu'ils avaient perdu en disant « tu vois, tu es vengé ».

Moi, la première semaine de paix, je l'ai passée clouée à un lit d'hôpital, à gerber mes tripes pour chasser de mon organisme la poudre de Villipa qu'il avait absorbée le jour de l'arrestation de Sirius. Les suivantes, cloitrée dans une chambre de Sainte Mangouste à compter les morts comme un vulgaire sicaire en retard sur ses missions. J'avais des visites, oh putain, ça ouais, ça défilait, ça m'enlaçait, ça m'embrassait, ça me parlait, ça me rassurait, mais au final j'étais tellement seule que j'ai toujours du mal à comprendre comment j'ai fini par me souvenir que, ces gens autour de moi, ils crevaient de me voir comme ça.

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