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J'avais changé six fois de bus, marché huit bons kilomètres dans des ruelles tortueuses, m'étais perdue une dizaine de fois, m'éloignant toujours plus du centre d'Istanbul, jusqu'à parvenir dans une banlieue à l'allure presque rurale, où je m'étais posée dans un café-bar miteux. Le service était aux mieux passable, l'environnement paraissait propice aux ennuis, surtout au vu des nombreux hommes qui me jaugeaient avec des yeux de prédateurs. Mais, la tête voilée de noir, habillée de vêtements amples qui dissimulaient ma silhouette depuis que j'avais entamé ma fuite, je ne leur offrais aucune prise sur mon corps, et après quelques secondes passées à affronter mon regard dans la mince fente que m'offrait le niqab, ils finissaient tous invariablement par détourner les yeux. La laïcisation de la Turquie provoquait une certaine gêne face au voile intégral que certaines femmes choisissaient encore de porter. Pour ma part, j'en profitais, puisqu'il me permettait d'être quasiment invisible dans la foule, et les rares qui osaient me jeter quelques coups d'œil paraissaient clairement dérangés par mon allure de fantôme, et ne s'attardaient donc pas longtemps sur moi.

— Tu m'envoies ça à l'adresse habituelle ?

Mon faussaire favori, Valentino, émit un grognement ronchon, comme souvent quand je le réveillais en pleine nuit, mais la manière dont j'avais ouvert la discussion quelques instants plus tôt l'empêcha de râler autant qu'il ne l'aurait fait d'habitude. Je faisais rarement appel à lui en urgence, il le savait. La dernière fois, cela avait été Barcelone.

— Ce sera prêt d'ici une semaine, acquiesça-t-il. Donc je récapitule : je prends l'identité de Jasper Terehan, dont tu m'enverras une référence, je modifie toutes les photos de profil qui lui sont associées partout où je peux en trouver, puis je te réimprime la paperasse et te l'envoie en physique. C'est validé ?

— C'est validé, décrétai-je, consciente que, selon le code de Valentino, je venais de signer un accord. Tu factures ça comment ?

— Une identité complète. C'est toujours plus pénible de devoir retoucher.

Je faillis protester. Faillis, seulement, car Val connaissait son boulot, et s'il me faisait payer cher, c'était qu'il allait y mettre du sien derrière. Alors, certes, ça me coûterait plus qu'avec un autre, mais j'étais certaine de payer pour un travail de qualité.

— D'accord. Merci, Val !

— Avec plaisir, Irina. Je m'y mets d'ici deux ou trois heures.

— Dors bien !

Je souris et coupai la communication, envoyai la photo du nouveau Kalyan et la référence de mon passeport Jasper Terehan, que je connaissais par cœur, puis me mis en tête de me trouver un logement dans le coin. Le réseau Wi-Fi du café était bancal, certainement aussi mal protégé que l'hydromel poétique de Kvasir, et je perdais la connexion régulièrement, mais pour le peu que j'en faisais, ça me suffisait. En outre, les protections de mon ordinateur, conçues par Ekrest, étaient à elles-seules suffisantes pour repousser un piratage informatique en règle.

Une fois mes recherches abouties, je vérifiai le solde de mes comptes, réservai une chambre chez l'habitant pour une nuit, et étais sur le point de m'en aller quand mon téléphone de la Faction sonna.

— Viper, m'annonçai-je en décrochant.

— Psi. J'ai eu des nouvelles de votre situation par l'un des vôtres. De notre côté, on a enregistré un bref pic d'adrénaline chez Blade il y a une heure environ, vous en savez quelque chose ?

Mon sang se glaça dans mes veines. Blade. Par la force de l'habitude, j'avais disparu dans le monde humain en effaçant toute trace derrière moi, selon les techniques habituelles que j'employais, mais je l'avais totalement ignoré dans mes plans. Sauf que, comme l'avait dit Syn, les Frigg semblaient avoir noté ma présence en ville depuis un moment, ce qui signifiait qu'ils avaient très bien pu repérer l'hôtel que j'avais quitté ce matin, où Blade était resté après mon départ.

Le Cycle du Serpent [II] : L'Alliance des DéchusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant