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J'émergeai dans des couvertures moelleuses et douces, à demi écrasée par un bras tatoué d'une tête de léopard, enfin totalement reposée et apaisée. Je ne me rappelais pas de mes rêves, mais je savais à l'humeur positive dans laquelle je m'étais réveillée qu'ils avaient été relativement calmes pour cette nuit-ci. J'attendais simplement le moment où je ne serais plus capable de les repousser consciemment et où je replongerais en enfer.

Ces quelques derniers jours m'avaient permis de respirer un peu, de me reprendre en main. J'avais enchaîné cinq missions consécutive en compagnie de Blade, rien que de la remise en forme traditionnelle à coups de kidnappings, vols de données et espionnages de conversations, et même si je savais que Lana en profitait pour observer au plus près mes capacités et évaluer jusqu'à quel point je pouvais être un atout avant de me transformer en risque, je me prenais à apprécier ce temps que j'avais pour moi. Incapable de tolérer l'enfermement, je passais autant de temps que je le pouvais dehors, à profiter de cette fin d'été au bord de la mer, dans une ville moderne, grouillante de vie. Blade, en digne garde rapproché et partenaire de mission qu'il était, me suivait dans tous mes déplacements et servait d'interprète quand mon anglais et mon arabe ne me suffisaient pas à me faire comprendre. Sa présence, au début négligeable et parfois agaçante, s'était faite tolérable au fil des jours. Il avait ses tendances misogynes et ses commentaires narquois, mais depuis que je lui avais remis les idées en place à la manière forte, il s'était calmé, et nous avions pu nous amuser un peu.

Parce que, oui, il s'agissait aussi pour moi d'oublier, qu'importe la manière. Oublier qu'une paire d'yeux bleus me hantait, et que ce que j'avais vécu avec Kalyan au Q.G. des Thor m'avait marquée. Oublier ses meurtrissures dissimulées, la manière dont il m'avait aidée, le souvenir de ses bras autour de mes épaules et de son parfum dans mes narines, oublier que nous nous étions profondément blessés mutuellement et qu'il fallait désormais que je l'efface de ma mémoire, que je me détache de la sensation de sécurité que son souvenir me procurait. En cela, Blade avait été plus que compréhensif. Il ne m'avait posé aucune question, même si je savais qu'il avait ses idées sur le sujet, et avait établi clairement que notre rapprochement n'était qu'un concours de circonstances qui durerait autant que durerait mon séjour dans la Faction ou que nous le voudrions. Mais, tristement pour lui comme pour moi, j'avais envie de profiter de son réconfort physique et lui avait envie de profiter de mon corps. Aucun de nous deux ne s'éloignerait donc tout de suite.

Mon téléphone vibra soudain dans mon inventaire magique. Je soupirai, me tortillai pour me redresser sur mes coudes, le fis apparaître dans ma main, consultai l'écran. Un appel manqué de Selvigia – probablement la cause de mon réveil – et un message qui venait d'arriver. Rdv café aujourd'hui ? J'ai pas arrêté ces derniers jours, et de toute façon, faut qu'on parle. Je haussai un sourcil, sceptique, tapai ma réponse. Envoie une adresse. Bientôt, un tintement m'indiquait que j'avais ma destination du jour.

La sonnerie venait de réveiller Blade, qui grommela en roulant sur le dos et m'interrogea de son œil ouvert.

— J'ai un rendez-vous.

— Galant ? ricana le soldat en se redressant pour probablement commencer à s'habiller.

— Qui ne te concerne pas, surtout, rétorquai-je.

Cela l'arrêta dans son mouvement.

— Je suis censé te suivre partout, tu sais ?

Je pouffai.

— Si tu veux que je me transforme en oiseau et te fausse compagnie, je t'en prie, essaie de m'accompagner.

Il poussa un long soupir, mais ne prit même pas la peine de contester, sachant la bataille perdue d'avance. En un peu plus d'une semaine, il avait compris que, quand je décidais d'opérer solo, il n'y avait rien ni personne pour m'empêcher de le faire. Je me glissai hors du lit et me dirigeai vers la salle de bains, nue. Un sifflotement appréciateur m'accompagna dans la traversée périlleuse de la petite chambre d'hôtel, où j'esquivais autant de vêtements que d'oreillers qui avaient volé pendant la nuit. Tout au long de cette dernière semaine, nous avions changé de lieu de résidence au moins tous les deux jours, si ce n'était plus fréquemment encore, par nécessité. Lui comme moi savions que nous ne pouvions pas nous permettre de rester au même endroit, vu ce que nous faisions... et encore moins avec la Confrérie aux aguets. Plus d'une fois, j'avais sonné le départ après une petite demi-journée à me sentir observée. Blade s'était adapté sans se plaindre, conscient que même si nos professions pouvaient paraître semblables, nos trains de vie traditionnels l'étaient nettement moins.

Le Cycle du Serpent [II] : L'Alliance des DéchusWhere stories live. Discover now