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La nuit avait depuis longtemps étiré son large manteau sur la terre lorsque nous parvînmes enfin aux abords de Mímirsbrunn. Plus nous nous en étions approchés, et plus mon anxiété avait augmenté à l'idée de retrouver, après tout le chaos de ces derniers jours, un visage aussi familier que dangereux, Kalyan. Je lui avais donné rendez-vous ici, en lui donnant une semaine pour venir, mais combien de temps s'était réellement écoulé depuis ? J'avais perdu la notion du temps. Entre le moment où Adam avait failli nous tuer, Selvigia et moi, à Istanbul, et notre départ vers l'Yggdrasil, deux jours avaient passé. Ensuite, il y avait eu Hræsvelgr et les Nornes, mon combat avec Max, puis mon voyage pour retrouver Selvigia et Åke. Étant donné que je ne savais pas combien de temps avait pu s'écouler pendant que j'étais chez les Nornes, je misais sur trois jours environ.

— Selvie ? Ça fait combien de temps qu'on est partis de Midgard ?

Elle haussa les sourcils en ahanant pour dresser une tente couleur camouflage quelques mètres derrière la bordure de la forêt, et je m'avançai pour lui donner un coup de main.

— Quatre jours, pourquoi ? D'ailleurs, tu aurais pu allumer ton transmetteur plus tôt, j'ai passé des heures à m'inquiéter comme une folle !

Quatre jours ? J'étais certaine de n'avoir vu passer que deux nuits durant mon voyage, une après que je sois sortie d'Urdarbrunn, et l'autre en compagnie de Selvigia et Åke. Ce qui signifiait effectivement que j'avais loupé une nuit complète, et que la source d'Urd était réellement dans une bulle temporelle.

— Désolée, j'ai passé pas mal de temps à errer...

Le mensonge me pinça le cœur, et je me demandai un moment pourquoi je mentais à Selvigia à ce sujet, puis je songeai qu'elle m'avait bien trompée au sujet de ses quatre cents ans d'existence, et que pour ma part, il s'agissait de dissimuler le fait que je n'aie pas de trame de vie.

— Et puis, je n'y ai pas pensé tout de suite.

Quatre jours s'étaient donc écoulés. Cela signifiait que, depuis que j'avais donné rendez-vous à Kalyan, six jours étaient passés. Il devait donc être dans les parages, pour peu qu'il ne se soit pas fait dévorer par un géant entre temps. Mais, en l'état, je ne me sentais guère capable de lui faire face. Ma magie, vidée par les combats successifs et les tentatives de métamorphose, me permettait à peine de faire apparaître de quoi me nourrir et me vêtir. J'étais éreintée par la marche, lasse d'avoir à affronter tout ce qui bougeait, et en plus, j'avais perdu une journée de ma vie dépourvue de trame dans une bulle temporelle.

— Je vous propose qu'on prenne une bonne nuit de sommeil avant d'aller chercher Mímir, proposa Åke avec un sens de l'à-propos particulièrement juste. Je prends la première veille.

Les bras chargés de branchages, il venait de réapparaître dans les ténèbres de la forêt, à peine illuminé par les quatre faibles flammèches que Selvigia et moi maintenions allumées non loin pour nous permettre de monter la tente de Selvigia. J'approuvai d'un grognement fatigué, et il déposa le tas de bois au pied d'un tronc.

Une fois la tente de ma sœur dressée, nous levâmes la mienne, puis une autre, que je gardais en réserve, pour Åke. Puis, nous nous blottîmes tous sous un enchevêtrement de couettes et de fourrures. D'un commun accord, Selvigia et moi avions éteint la thermo-régulation de nos combinaisons durant notre marche, puisqu'elle puisait dans notre réserve de magie pour s'alimenter et nous réchauffer. Or, nous étions déjà suffisamment vides pour en plus dépenser de l'énergie dans le vent. Aussi, après m'être emmitouflée dans quatre épaisseurs de couvertures – on avait beau être en été, les températures de Jötunheim dépassaient rarement les quinze degrés la journée et les trois degrés la nuit – je fis disparaître ma combinaison, que j'échangeai contre une sorte de pyjama de voyage molletonné, prévu pour le froid. Puis, je tirai la fermeture éclair de ma tente, adressai un vague « bonne nuit » de circonstance à mes compagnons de voyage, et sombrai dans un sommeil profond.

Le Cycle du Serpent [II] : L'Alliance des DéchusWhere stories live. Discover now