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Un instant, le temps sembla demeurer suspendu, figé en une question qui attendait sa réponse. Je me pris, l'espace de ce bref instant, à me demander si je ne m'étais pas trompée, s'il le voulait vraiment.

Puis, la glace se fissura, et je me retrouvai emportée dans un tourbillon de sensations inédites. La chaleur de sa peau, la douceur de ses lèvres, la tendresse de ses mains qui m'attiraient contre lui. Nos souffles se mêlèrent, je fermai les yeux, et me laissai emporter. Sa langue s'immisça entre mes défenses, vint taquiner mon palais. Je lui répondis en me collant, si c'était possible, encore davantage contre lui. Notre baiser avait une étrange saveur, mélange d'angoisse, de doutes et de désirs. Je me perdis, m'abandonnai, m'oubliai. C'était simple, clair et évident, en adéquation parfaite avec ce que je désirais. Par son simple contact, il comblait le vide dans ma poitrine, soulageait la douleur. Il était là, présent, conscient de ses failles et de ses travers, de ce qui nous unissait et de ce qui nous séparait. Il me comprenait, m'acceptait, me laissait évoluer et évoluait de son côté, à son rythme. Et ça me suffisait.

Nous nous embrassâmes à perte de souffle, jusqu'à ne plus pouvoir sentir autre chose que le goût et le parfum grisant de l'autre. Après ces quelques semaines à peine qui nous avaient séparés, nos corps se redécouvraient, s'apprivoisaient à nouveau. Sans trop savoir comment, je me retrouvai bientôt uniquement en brassière, et lui torse nu. Mais nous n'avions pas besoin de plus que le simple contact de nos peaux, juste de la certitude que l'autre était là, présent, physiquement et moralement.

Lorsque nous nous séparâmes finalement, je ne pouvais réfréner mon sourire de bien-être. Nez contre nez, respirations erratiques s'entrechoquant dans le petit espace qui séparait nos bouches, paupières closes, je me sentais plus en sécurité que je ne l'avais jamais été ces derniers jours. Instinctivement, j'entremêlai mes doigts dans ses cheveux qui s'allongeaient chaque jour, calai mon menton contre son épaule, me laissai aller. Son parfum familier, et pourtant évanescent, de shampoing citronné, affleura à mon nez, mêlé à l'odeur, plus âcre et forte, de sa peau. Je cambrai mon dos au contact de sa main qui remontait entre mes omoplates. Ses lèvres effleurèrent mon cou, je m'abîmai dans la profondeur de ses yeux électriques qui luisaient doucement dans la pénombre. J'esquissai un léger sourire pensif, l'esprit ailleurs.

— Qu'est-ce qu'il y a ? me demanda Kalyan

— J'étais en train de me dire que j'ai vraiment envie de recommencer sur une base plus saine que celle qu'on a eue jusque-là.

Il inclina la tête sur le côté, un rictus narquois aux lèvres.

— Je pourrais difficilement te contredire.

— Mais ça veut dire plus de mensonges, poursuivis-je, parce que je sais qu'ils vont venir pourrir tout ce qu'il y a ici. Donc je voudrais t'avouer deux ou trois petites choses.

Même si je n'en avais pas l'air, je guettais la moindre de ses expressions. Je discernai ainsi sans mal la surprise qui lui fit écarquiller un peu les yeux, puis l'attention décuplée qu'il me porta en tournant franchement son visage vers moi, alors que jusque-là, il avait plutôt fixé le feu. Quelque peu rassérénée par ses yeux azur qui me détaillaient sans la moindre étincelle d'appréhension ou de crainte, je me lançai d'une voix maîtrisée :

— Déjà, tu le sais probablement, mais j'étais celle qui a torturé l'un de tes amis, Séraphin Cobb.

Son expression calme se froissa quelque peu l'espace de deux secondes, le temps qu'il accepte que j'avais décidé de me lancer d'emblée sur un terrain aussi glissant. Je ne l'avais jamais aussi ouvertement affirmé, mais il fallait que ça sorte, sinon ça nous retomberait dessus un jour ou l'autre. J'avais vu assez de relations dysfonctionnelles pour savoir que le mensonge, que ce soit volontaire ou par omission, était l'une des causes de ruptures les plus fréquentes, et souvent les plus violentes. Les secrets avaient cette mauvaise manie de prendre de plus en plus d'importance au fur et à mesure qu'on les gardait. C'était comme Surtr : sa puissance et son potentiel destructeur augmentaient d'année en année, et le jour du Ragnarök, il carboniserait tout.

Le Cycle du Serpent [II] : L'Alliance des DéchusWhere stories live. Discover now