Interlude

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Les enregistrements des drones de la Faction ont été très quasiment impossibles à obtenir et à déchiffrer. Mais, maintenant qu'elle a la vidéo sous les yeux, maintenant qu'elle réalise, elle aurait préféré ne jamais les avoir. L'inquiétude qu'elle avait ressentie jusque-là n'est rien par rapport à la tempête de terreur qui la ronge désormais. La porte de son bureau est close, verrouillée à clé. Personne n'entrera. Personne ne sait, à part les analystes, et elle exigera qu'ils prennent un amnésique. Personne ne saura.

Son regard revient sur les silhouettes. La vidéo a été éclaircie si désagréablement que tout l'environnement en devient d'un blanc trop éclatant. Dans les volutes des fumigènes qui ont été lancés durant les combats, les formes sont troubles, floues, impossibles à identifier. Mais elles sont nombreuses. Trop nombreuses.

Elle soulève lentement le téléphone, essayant de maîtriser ses tremblements, d'endiguer sa terreur. Tandis qu'il sonne, elle compte à nouveau les silhouettes présentes. Elle en connaît trois presque avec certitude. Kaldtjis et Síverdín, qui ont été identifiées par ses soldats. Et l'un de ses hommes lui a assuré être certain d'avoir reconnu d'Aube-Court.

Mais s'il y a d'Aube-Court, il peut y en avoir d'autres, plus vieux encore, plus dangereux encore.

— Synnöve, comment vas-tu ?

La voix grave, pareille à un roulement de tonnerre, tente en vain d'être chaleureuse, mais rien ne peut dissimuler la pointe d'anxiété qui perce malgré tout.

— Vous étiez censé les avoir tués.

— Qui ça ? Je me perds sur la liste de ceux dont tu as commandité le meurtre. Pour ta petite Élite, je t'ai déjà expliqué que ça ne rentrait pas dans nos intérêts.

— Laisse tomber Lilith, elle n'est qu'un problème mineur pour le moment. Björn, combien de temps pensais-tu pouvoir me le cacher ? Sur les enregistrements, ils sont au moins huit.

Björn soupire audiblement.

— Ils ne sont pas tous de chez toi, je t'assure.

— Un seul d'entre eux suffirait.

— Mmhm.

Elle inspire profondément, détache chaque mot.

— Combien sont-ils ?

Un silence.

— On les avait quasiment détruits.

— Quasiment ne suffit pas, Björn, pas avec eux. Maintenant, ils vont chercher à avoir notre peau.

Un rire.

— Pour ça il faudrait qu'ils franchissent les murs de nos forteresses.

Au son de sa voix, elle devine que malgré toute sa suffisance, il a peur. Il réalise lui aussi qu'avec les anciens Élites libres, leurs vies vont devenir un enfer. Les morsures de Nídhögg seront plus douces à côté de ce qu'ils pourraient leur infliger s'ils mettaient la main sur eux. Ils auront aiguisé leurs crocs, entériné leur rage et leur haine, affûté leur souffrance pour s'en servir comme d'une arme destructrice. Ils sont capables de tout, et surtout du pire, et ils n'ont rien à perdre.

C'est pour ça qu'ils auraient dû mourir.

—Björn ? Je vais t'envoyer un enregistrement, et tu vas le regarder. Ensuite, tu vas me dire tous les noms de ceux qui se sont échappés.

Elle prend une profonde inspiration, maîtrise sa voix. Elle peut faire appel à son dernier recours, désormais. Ils n'ont plus Vanessa, ils n'ont plus de point de pression sur elle. Et cette guerre qu'elle doit mener contre ses anciens Élites, elle doit la mener avec toute sa force, toute la puissance de la Confrérie, et toute celle qu'elle peut exiger des autres Maisons.

— Et tu tiendras à ma disposition un régiment des tiens pour que je puisse les éliminer définitivement.

— Tu plaisantes ?

— Absolument pas. Tu ne voudrais pas qu'il arrive du mal à Alex, non ?

Björn gronde, et elle raccroche. Les mains tremblantes, elle reprend son ordinateur. Elle sait qu'elle vient de mettre un couteau à la gorge de son meilleur allié. Mais il y survivra. En revanche, pour qu'ils survivent tous les deux, il faut qu'ils se serrent les coudes, et puisqu'il ne semble pas déterminé à le faire de bonne volonté, elle le fera à sa place. Il ne lui en voudra que pour les trois cents prochaines années, mais après tout, qu'est-ce donc à l'échelle de cinq millénaires d'existence ?

Elle appuie par mégarde sur une touche, qui relance l'enregistrement. Et soudain, elle remarque quelque chose, et son souffle se glace dans sa poitrine. Des aiguilles de lumière, utilisées comme des armes, des couteaux de lancer, manipulées à distance. Un message destiné à elle seule, puisqu'il n'y a jamais eu que deux demi-divins capables d'une telle maîtrise.

Elle.

Et son frère.

Son frère qui, des millénaires plus tôt, a juré de la détruire.

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Le Cycle du Serpent [II] : L'Alliance des DéchusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant