| 27 † 2 |

12 1 0
                                    

À l'instar de Himinbjorg, la demeure d'Heimdall, la forteresse de Thrymheim avait été creusée dans les profondeurs de la montagne plutôt que bâtie dessus, si bien qu'elle dépassait à peine de la pierre, et les rares promontoires visibles ressemblaient plus à des escarpements rocheux couverts de neige qu'à des tours dotées de lucarnes. Nous fîmes deux tours autour de la cime de la montagne, Kalyan cherchant de toute évidence un endroit plat où se poser, et j'en profitai pour admirer l'épaisse couche de poudreuse qui recouvrait les environs. Quelques, rares mais visibles, pistes de ski descendaient en longs sillons dans des pentes raides qui auraient mis à mal les champions olympiques de Midgard. Étroites et sinueuses, elles suivaient les crêtes et vallons de la montagne, bordées de versants vertigineux, menaçant à chaque virage de basculer dans une longue chute libre. Je ne voulus même pas envisager la possibilité d'une descente, consciente que, si je le faisais, je finirais le reste du trajet en volant, sous une forme d'oiseau. Pas que j'aie ne serait-ce que l'énergie de faire apparaître des skis à l'heure actuelle.

Je m'étais vidée de presque toute magie durant l'approche. Kalyan en avait encore un peu, même après le combat contre les géants, mais je sentais dans l'air que les pulsations du flux magique se faisaient irrégulières. L'atterrissage le mettait à rude épreuve. Ses yeux cherchaient frénétiquement un espace plat, une vague corniche moins escarpée que les autres, un endroit où la neige serait bien tassée, un filet de sueur commençait à couler le long de sa tempe. Et je comprenais les risques. Si nous nous posions ailleurs, nous risquions une longue glissade vers le sol depuis quelques quatre mille mètres d'altitude. Même si nous survivions – ce qui, dans notre état, n'était plus garanti – il restait le problème de remonter. Car Thalia n'avait pas émergé de son inconscience, et cela devenait inquiétant. Son pouls était encore stable, mais je ne savais trop que dire de son état global, étant donné que je ne savais pas ce qui lui était arrivé exactement durant son combat contre les géants.

Finalement, alors que j'allais me résigner à l'idée de mourir de froid après une longue chute douloureuse, Kalyan sembla repérer quelque chose. Ses yeux s'éclairèrent, son bras se tendit. Il désigna un point bien plus bas que ce que j'aurais estimé, me tendit la main. Comprenant la demande – il n'y arriverait pas seul – je poussai un soupir et lui donnai mon poignet, lui abandonnant les restes d'énergie que j'avais préservés. Le vaisseau dvargen piqua vers la roche à une allure vertigineuse, rasa une crête en soulevant un tourbillon de neige sur son passage, s'immobilisa d'un coup en manquant de me projeter au sol, recula. Et, d'un seul coup, alors que je pensais que Kal était devenu fou et qu'il cherchait juste à nous écraser contre la paroi, l'ombre de la pierre nous recouvrit.

Nous nous posâmes en douceur dans le creux d'une grotte large mais peu haute, qui logeait tout juste le suspenseur. Les parois étaient lisses, sans une imperfection, comme si elles avaient été creusées par la magie. La roche, dans l'éclairage blanchâtre des lumières intérieures du vaisseau, avait une couleur brunâtre, terreuse, et elle scintillait légèrement.

Trop épuisée pour trop prêter attention à ces détails, je relâchai la main de Kalyan quand la coquille de verre du vaisseau commença à s'ouvrir, et je faillis bien défaillir quand je perdis l'accès à son énergie. Un voile noir couvrit une seconde ma vision, les ténèbres menacèrent de m'emporter et, l'espace de quelques instants, je demeurai suspendue dans la brume trouble de l'incertain. Puis, le vent glacé qui s'engouffrait dans cet étrange parking de montagne me fouetta le visage, et la conscience reprit ses droits sur mon esprit.

En ahanant, nous sortîmes Thalia dans le brancard sur lequel nous l'avions placée, et je me laissai guider à la lumière d'une torche de fortune un étroit corridor. Sur le chemin, je songeai à Thalia, au temps qu'il lui faudrait pour se réveiller, à ce qu'elle risquait de dire. C'était dangereux de commencer avec un faux nom, et d'ensuite devoir s'expliquer. Mais me présenter comme Lilith était encore plus mortel, pour peu que des informations aient circulé.

Le Cycle du Serpent [II] : L'Alliance des DéchusWhere stories live. Discover now