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La marque de Loki. Deux serpents entrelacés, qui se mordaient mutuellement la queue pour former une sorte de double infini. Le symbole, que j'avais plus d'une fois vu gravé dans les épaisses reliures de livres de magie du Manoir, flottait dans mon esprit, brûlait l'arrière de ma nuque comme un fer rouge appliqué sur ma peau.

Mais ça n'avait aucun sens. Loki était apparu en plein milieu de la cérémonie de promotions, et avait proclamé que Levi était son Élu devant l'ensemble de la Confrérie. Il n'aurait pas fait ça sans raison valable s'il avait décidé de me choisir, moi, au bout du compte, mais je ne parvenais pas à voir l'intention derrière ce genre de manipulation. Je pivotai pour faire face à nouveau à mon aîné, sourcils haussés.

— Pourquoi avoir officiellement nommé Levi, alors ? relevai-je.

Åke hésita.

— Peut-être que Mère voulait faire croire à Emyja qu'elle maîtrise encore la situation, peut-être qu'elle voulait détourner son attention de toi... Sincèrement, je ne sais pas. Emyja est folle à lier, Mère la terrifie. Elle est à moitié responsable de sa capture, en vérité, et si elle est libérée...

— Elle mourra dans d'atroces souffrances, complétai-je.

Enfin, les éléments du puzzle s'assemblaient, enfin, j'avais l'impression de tenir une part de la vérité. Je reculai d'un pas, regard dans le vague, laissai les conclusions s'imposer d'elles-mêmes. Synnöve Kaiser – ou Emyja, qu'importe son nom – était partiellement responsable de l'emprisonnement de notre père. Depuis probablement des siècles, elle luttait pour le maintenir dans sa caverne le plus longtemps possible, pactisant avec des Æsir – et peut-être, qui savait, des Vanir – pour se débarrasser de ceux qui pourraient éventuellement causer le Ragnarök. Mais elle ne disait probablement pas la vérité à ses alliés non plus, sinon ils n'auraient jamais laissé les anciens Élites vivants.

— Attends, tu dis qu'elle est à moitié responsable de son emprisonnement... elle a quel âge ?! relevai-je brusquement.

Le sourire narquois d'Åke annonçait une réponse terrifiante. Et il ne déçut pas.

— C'est la première fille de Loki, elle doit avoir... oui, cinq bons millénaires, maintenant...

Face à une telle réponse, je ne pus que ciller. J'essayai, un instant, de m'imaginer vivre quatre mille ans dans la terreur perpétuelle qu'un jour, un de mes frères – dont je ne pouvais pas empêcher la naissance – libèrerait mon pire cauchemar. Je n'y parvins pas.

Mais la pointe de pitié qui menaçait de m'effleurer se mua bien vite en une détermination glacée. Ce qui l'avait motivée à agir à l'époque ne m'intéressait pas ; en revanche, elle avait orchestré le meurtre d'au moins une demi-douzaine des siens, si ce n'était plus. Elle la paierait, comme la loi l'exigeait.

— Ok. Et donc, concrètement, ce rôle d'Élu, consacré, ou qu'importe ce que je suis... ça veut dire quoi ? À part le fait que je suis une cible vivante pour quiconque est au courant de mon rôle ?

Ma remarque sarcastique amena un léger sourire amusé sur les lèvres du roux, qui tendit les mains devant lui. Des flammèches orangées dansaient au bout de ses doigts. Jusque là, Selvigia et Kirstin avaient été les deux seules à manifester une telle affinité pour les flammes. Pour ma part, la pyromagie n'était pas mon art favori. Je préférais de loin les illusions et la métamorphose, même si je n'aurais pas vraiment pu me décider si j'avais eu à choisir entre ces deux-là.

— Pour aller au plus simple, tu es une commandante militaire. Mais pas que. C'est sur toi que reposent le Fimbulvetr et la libération de Mère.

Sa manie de nommer Loki « Mère » me perturbait plus que de raison. Pour moi, Loki était un père. Trop souvent absent, jamais là pour célébrer mes victoires, mais après tout, puisqu'il était enchaîné dans une caverne dont personne ne connaissait la localisation et que des gouttes de venin acide tombaient sur son visage... disons que c'était plus qu'une bonne excuse pour rater mes anniversaires. Et puis, il avait autour de deux cent descendants directs encore en vie, ce qui ne devait pas l'aider à se souvenir des dates. Pour peu qu'il se doute du temps, dans sa caverne isolée.

Le Cycle du Serpent [II] : L'Alliance des DéchusWhere stories live. Discover now