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Nous avions continué à progresser dans les plaines rocailleuses, le chemin se faisant chaque jour plus pentu et accidenté, jusqu'à ce que, finalement, nous nous retrouvions en train de gravir une petite montagne, et non une simple colline. Évidemment, comme la brume s'attardait toute la journée et que les nuages bas ne se dissipaient jamais vraiment, j'y voyais rarement à plus de cinq mètres, et seul un petit chemin escarpé qui sinuait entre quelques rares conifères rachitiques nous indiquait vaguement le chemin. Nous avions traversé six villages de géants jusque-là, sans jamais avoir de réelle mauvaise rencontre. Depuis les millénaires passés à la merci de Thor, la plupart des géants, et notamment ceux qui habitaient non-loin de la demeure de Skadi, s'étaient quelques peu pacifiés.

Certains s'étaient révélés être plutôt du côté Æsir, d'autres plutôt du côté adverse. Mais notre duo étrange, quelque peu contre-nature d'après eux, avait toujours su faire valoir un argumentaire acceptable à l'oreille qui nous écoutait. Du côté pro-Æsir, Kalyan s'était porté garant de moi, avait appuyé mon rejet de la Confrérie, et m'avait même défendue contre des brutes un peu trop enthousiastes à l'idée de me dévorer. Jamais dans mon enfance je ne m'étais imaginée pouvoir compter sur un ancien ennemi pour l'entendre dire que je valais bien mieux que le reste de ma famille... alors que j'en étais certainement l'un des pires exemples. Et pour compenser, du côté anti-Æsir, j'avais fait valoir que Kal était un mercenaire banni qui n'avait plus aucune attache avec sa famille, qui aidait depuis de longues semaines une fille de Loki et que puisqu'il se présentait à eux sans essayer de faire exploser leur village, il ne pouvait pas être comme la plupart des Thor. Dans les deux cas, ça avait relativement bien marché, passé le premier moment où il fallait faire attention à ne pas sortir le mauvais argument au mauvais Jötun.

Et puis, dans l'un des cas où ça s'était quelque peu compliqué, nous avions filé aussi vite que Sleipnir pour leur échapper, et même s'ils s'étaient lancés à notre poursuite, quelques éclairs bien placés les avaient convaincus d'abandonner rapidement. En cela, je ne pouvais nier qu'avoir Kal à mes côtés était effectivement une garantie de sécurité plus efficace que je n'en avais jamais eue.

Avec ceux qui ne manifestaient qu'un amour modéré des dieux dominants des Neuf Mondes, j'avais demandé une entrevue privée avec leur chef. Kalyan ne m'avait jamais interrogée là-dessus, Loki en soit remercié, parce que je me voyais mal lui expliquer que je diffusais un message équivalent à « Affûtez vos armes et ne provoquez pas de combats inutiles, le Ragnarök approche. » Et je savais parfaitement que nous avions dit plus de mensonges, mais en l'état actuel... c'était compliqué. Cependant, je restais de bonne foi. Avant le Ragnarök, il y avait le Fimbulvetr, un hiver long de trois années qui nous donnerait le temps de nous préparer aux combats finaux, et avant encore le Fimbulvetr et la rupture des chaînes de Loki et de Fenrir... j'avais le temps de remettre les choses au clair.

Mais plus le voyage avançait, plus j'avais la terrible sensation d'être un imposteur, doublée d'une piètre menteuse, chose qui ne m'était encore jamais arrivée jusque-là.

Alors, finalement, un jour que nous nous étions installés dans un petit renfoncement du versant d'une énième crête de montagne en pestant contre les pentes et nos muscles qui souffraient de la montée, je décidai d'être honnête. Je craignais trop ce que je risquais de gâcher en gardant le silence, et j'en avais assez de sentir une nouvelle forme de culpabilité dans ma poitrine. Enveloppée de fourrures de la tête pour contrer le froid, maintenant que je n'avais plus ma pyromagie pour me tenir chaud, j'étais blottie dans la tente à côté de Kal, qui grelottait en silence depuis qu'il était parti chercher un animal à abattre. Évidemment, il n'avait rien trouvé, donc nous mangions nos réserves, mais j'aurais tué pour un repas chaud, d'autant plus maintenant que je n'avais même pas de quoi créer une pauvre flammèche.

Le Cycle du Serpent [II] : L'Alliance des DéchusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant