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Dans l'établissement joliment décoré en tons de bleu et de gris apaisants, la serveuse nous avait installées à une petite table carrée accolée à la fenêtre, ce dont je lui fus silencieusement reconnaissante. Personne ne savait que nous étions là, certes, mais on ne savait jamais. Dans le pire des cas de figure, c'était toujours mieux de voir les ennuis arriver que d'être totalement pris au dépourvu.

Nous commandâmes immédiatement, sans même regarder la carte des boissons : un thé à la menthe pour moi, un cappuccino pour ma sœur. À peine surprise, la jeune femme hocha la tête et tourna les talons, nous laissant seules. Je me tortillai sur la chaise de bois, à la recherche d'une position confortable, finis par caler mes épaules en arrière et allonger mes jambes dans l'allée, légèrement perturbée par la morphologie de ce corps dont je ne m'étais pas servie depuis longtemps. Selvigia, fidèle à son apparence, s'assit raide et droite sur sa chaise, figée comme une top-model en pleine séance photo. Elle me sourit, patienta calmement et parla de banalités jusqu'à ce que nos boissons arrivent, ce qui prit une bonne dizaine de minutes, puis attaqua sans détour les sujets qui lui importaient, désormais certaine de ne plus être dérangée.

— Comment va Kirstin ?

Je plissai le nez, et immédiatement, le regard de ma sœur se fit inquisiteur, aigu et perçant. Ses pupilles s'étrécirent par un mouvement instinctif, presque animal, laissant entrevoir un fin cercle turquoise sur la bordure interne de la lentille noire. Autour de nous, il n'y avait personne dans un rayon de deux bons mètres, ce qui était amplement suffisant pour noyer notre conversation dans le bruit ambiant. Malgré tout, je gardai la voix basse par habitude :

— Mieux, même si on a eu des hauts et des bas.

Ces derniers jours, par l'intermédiaire de Blade, j'avais eu des mises à jour régulières grâce à Bulldog, l'un des soldats de la Faction assignés à la protection de l'ancienne Élite. Il m'avait confirmé que, au niveau physique, Kirstin allait bien, qu'elle se remettait peu à peu de son explosion magique. En revanche, au niveau mental, ça vrillait encore assez régulièrement, même si elle semblait avoir compris que ceux qui l'entouraient étaient pour la plupart humains, et pas associés à la Maison de Thor, ce qui l'apaisait quelque peu. Ses journées se résumaient essentiellement à dormir et faire des rechutes fréquentes, mais elle avait arrêté d'essayer d'assassiner tout le monde, et acceptait de se nourrir correctement quand elle voyait la nourriture préparée devant elle et quand Tyko mangeait la même chose. Et, maniaque, elle montait et démontait une vieille AK-47 datant de la chute de l'URSS environ trente fois par jour.

Selvigia ne m'interrompit pas une seule fois quand je lui fis un compte-rendu de la situation. Au contraire, elle m'écouta avec attention, s'abstenant de me critiquer, même si je vis plus d'une fois ses lèvres fines se pincer en une moue contrariée, surtout quand je lui racontai la manière dont nous l'avions maîtrisée une semaine plus tôt. Par ailleurs, je discernai en elle une colère froide, mais compréhensible, due au fait que je ne l'avais pas appelée plus tôt pour la prévenir. Et je ne pouvais que la comprendre : si j'avais retrouvé Ekrest dans l'état de Kirstin... d'une part, ça m'aurait épargné une douloureuse dispute, mais d'autre part, je me serais fait un sang d'encre dès l'instant où il aurait quitté mon champ de vision.

— Et qu'est-ce que...

Elle hésita, parut vouloir reformuler sa pensée.

— Qu'est-ce que tu as fait de mieux que Tyko ?

Si je ne l'avais pas mieux connue, j'aurais cru qu'elle était agressive, alors qu'en vérité, Selv était seulement inquiète. Très inquiète.

— Je l'ai écoutée, répondis-je simplement. Elle avait besoin d'évacuer, mais j'ai l'impression que tout le monde s'efforçait juste de la contenir. Je pense...

Le Cycle du Serpent [II] : L'Alliance des DéchusWhere stories live. Discover now