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— Père ? soufflai-je.

Il n'avait pas cessé de me fixer. J'hésitai, sans réellement savoir ce que je comptais demander ni comment j'allais le formuler, puis, finalement, m'avançai lentement en terrain glissant.

— Est-ce que... selon les Nornes... quand était réellement censé advenir le Ragnarök ?

À nouveau, un vague sourire étira ses lèvres, me donnant un frisson.

— D'ici quelques siècles, une dizaine tout au plus. Mais le fait est que tu as tué Vali, et même ces vieilles mégères se sont maintenant perdues dans leurs toiles. Aucune d'entre elles ne l'admettra, mais il est probable que le destin de l'univers ait déjà imperceptiblement changé.

Mon pouls s'accéléra imperceptiblement, je me mordis les lèvres. Même petite, j'avais eu cette fâcheuse tendance à bousculer l'ordre établi, notamment en renversant Adam, mais je ne me serais jamais doutée que j'en viendrais à changer des prédictions millénaires. Ça n'avait jamais fait partie du plan. J'avais toujours pensé que je mourrais avant le Ragnarök, probablement dans une embuscade digne d'un récit de légende, seule ou avec Ekrest, dans un affrontement trépidant conter des combattants adverses aguerris.

— Mais ça veut dire que...

— Les chaînes de Fenrir ne se sont pas encore rompues, et les miennes non plus, mais je sens qu'elles faiblissent. Quelque chose a changé il y a peu, grâce à toi. Nous ne sommes plus emprisonnés dans un destin immuable. Ou du moins, je ne le pense pas.

J'avais l'impression de flotter, que le monde entier s'était mis à tourner. C'était improbable. On ne rompait pas les prophéties. Nombreux étaient ceux à avoir essayé, et aucun n'avait jamais réussi.

Mais d'un autre côté, n'avais-je pas provoqué la mort de l'un de ceux qui étaient censés survivre à la fin du monde ?

— Admettons que je le fasse, marmonnai-je au bout de quelques instants. Suis-je censée venir vous libérer moi-même ?

Conscient que j'avais d'une certaine manière ployé, que j'avais commencé à envisager la possibilité, les yeux de Loki scintillèrent d'un éclat de satisfaction impossible à manquer, mais il ne fit aucun commentaire déplacé.

— Ma liberté n'est pas qu'une affaire de localisation, malheureusement. Tu n'es qu'un rouage dans l'ensemble du mécanisme, d'autres devront intervenir également.

Je plissai les paupières, sceptique. D'autres ? Levi ? Åke ? Les Élites ?

— Mais, si ça peut te rassurer, tu es le rouage le plus important. Sans toi, ils ne peuvent pas bouger à leur tour.

— Pourquoi ? Cela a-t-il un rapport avec ma trame ?

— Quelle trame ? releva-t-il.

Je reportai mon regard sur le lac, blême, luttant pour ne pas dévoiler mon trouble, espérant ne pas en avoir trop dit. Il ne savait pas que je n'avais pas de trame. Il savait que j'avais tué Vali, mais il ne savait pas que je n'étais pas liée à un destin dirigé par les Nornes. Comment s'expliquait-il, alors, que je puisse agir là où d'autres ne le pouvaient peut-être pas ?

— Je ne... N'avons-nous pas tous une trame de vie, un destin tissé par les Nornes ? éludai-je. Qu'est-ce qui rend le mien si différent ?

Loki haussa les épaules, l'air de ne pas s'en préoccuper.

— La magie a parfois une manière de trouver son chemin qui nous échappe. Notre univers n'était pas fait pour être étranglé entre des fils. Quand les Nornes s'en sont emparées, elles nous ont volé nos destins, arraché notre liberté de choisir. Peut-être que, pour toi, la magie primaire de notre univers a simplement réussi à reprendre ses droits. Je ne sais pas, en toute honnêteté. La seule chose que je sais, c'est que tous ceux qui sont à ton contact peuvent eux aussi dévier du chemin qui leur était tracé.

Le Cycle du Serpent [II] : L'Alliance des DéchusWhere stories live. Discover now