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Heureusement pour mon état de fatigue intense, la Eir finit par se manifester. Arza la précéda par la porte de la chambre, s'inclina brièvement sur son passage avec une expression de respect sincère que je ne l'avais vue manifester ni envers Skadi, ni envers Kalyan, et qui semblait acquise par de vrais actes et non par un simple statut. Puis, elle se retira en refermant la porte derrière elle, et je me focalisai sur la fille d'Eir.

C'était une grande brune à la peau mate, aux yeux du vert feuille brillant de sa Maison, et aux traits fermés et bien dessinés. Sans paraître être une force de la nature, elle semblait athlétique et assez souple, et malgré la fraîcheur qui régnait dans le château, elle ne portait que des vêtements légers, sportifs.

— Bonsoir, salua Kalyan. Merci d'être venue si vite.

— On ne va pas dire que c'était vraiment un choix, cingla-t-elle. Mais après tout, qui suis-je pour remettre en cause vos priorités...

Je haussai un sourcil depuis le haut du lit, perplexe. Un venin acide suintait de sa voix, et elle cherchait clairement à évacuer un ressentiment depuis longtemps accumulé.

— Notre amie a besoin d'aide. On ne sait pas pourquoi elle est inconsciente, on espérait que tu pourrais nous aider là-dessus.

— Mmhm.

— C'est à dire, « mmhm » ? intervins-je.

— C'est à dire que vous n'avez pas idée de ce que je vois ici, grinça-t-elle. Mais bien sûr, les blessures d'une nouvelle venue sont prioritaires.

Je fus étonnée de découvrir une réelle rancœur dans sa voix, dirigée droit contre le Hamershot.

— Vos jolis pactes, vos alliances de circonstance... vous n'avez aucune idée du mal que ça engendre. Mais pourquoi est-ce que je me fatigue ?

Elle se détourna, se hissa le long de l'échelle en bois avec une lassitude teintée de colère qui exusdait dans chacun de ses gestes, à la fois lents et terriblement crispés. Elle transportait, comme Elizabeth à l'époque de mes jours en prison, une petite sacoche qu'elle avait accrochée en bandoulière, où elle gardait certainement tous les outils additionnels dont elle avait besoin en plus de sa magie. Toutes les compresses, les herbes, les poudres et les pommades. La voir me tira presque un fin sourire nostalgique, qui s'effaça bien vite quand elle me regarda de travers avec toute la haine non-verbale qu'elle pouvait emmagasiner. Je frissonnai presque, secouée. C'était le genre de regard dont j'avais l'habitude, qui me fit même douter un moment de mon camouflage. Je portai les doigts à mes yeux, prête à reconstituer mon illusion, transformai à la dernière seconde le geste en une main dans les cheveux nerveuse. J'étais une fille de Thor, ici, il n'y avait rien pour le moment pour le démentir. Et c'était presque terrifiant de voir la haine que cette Eir pouvait manifester face à une Thor.

— Tu t'appelles ?

— Jessica.

— Kira, enchantée.

Seul un silence me répondit, et quand elle se détourna de moi pour s'occuper de la fille de Freyr, je levai un sourcil en direction de Kalyan. Il me répondit par un haussement d'épaules qui en disait suffisamment long sur sa propre rancœur pour que je comprenne. C'était son héritage de sang, celui qu'il détestait devoir assumer, mais qui lui incombait en général dès qu'on apprenait qu'il était un Hamershot.

— Elle va bien ? préférai-je demander à haute voix, tout en lui adressant un hochement de tête qui se voulait rassurant.

— Oh, bien... tout est question de perspective. Elle a trois côtes cassées, énuméra-t-elle sans détourner les yeux de sa patiente et un poumon perforé – même si ce n'est pas mortel en soi. Et c'est sans parler des contusions. Qu'est-ce qui lui est arrivé ?

Le Cycle du Serpent [II] : L'Alliance des DéchusWhere stories live. Discover now