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Une ruée d'adrénaline déferla dans mes veines, je me mis instinctivement en position de parachutiste : à l'horizontale, bras et jambes largement écartés. Je voyais, une trentaine de mètres plus bas, Selvigia et Åke qui faisaient de même, l'unique différence étant qu'Åke n'était pas équipé comme ma sœur et moi. Les combinaisons thermiques nous protégeaient du froid agressif, et en outre, le casque était étanche et m'empêchait de me prendre dans les yeux les milliers de poussières qui flottaient dans l'air. Et même si j'avais quasiment atteint ma vitesse terminale, le sol semblait se rapprocher à une vitesse étrangement lente, malgré ma chute vertigineuse.

Loin au-dessus de nous, un glapissement furieux résonna. Je me contorsionnai pour me retourner – les entraînements de parachutisme aidant – parvins à repérer la forme distante de l'aigle géant qui piquait dans notre direction, apparemment furieux de nous avoir manqués. Je grinçai des dents dans mon casque, pivotai à nouveau la tête en bas, et collai mes bras contre mon corps pour plonger plus vite. Il était hors de question que je serve de casse-croûte à un géant, métamorphe soit-il.

Une vingtaine de secondes plus tard, j'atteignis la hauteur de Selvigia, qui d'un geste hasardeux m'indiqua le sol encore loin en-dessous. Dans la masse verdoyante de forêts et de vallées que je discernais, un point clair, d'un bleu liquide, s'élargissait à vue d'œil. Je hochai la tête.

Quand nous fûmes à quelques trois cent mètres d'altitude et que le sol parut soudain bien trop proche, un vicieux courant d'air, aussi froid que traître, nous frappa latéralement, charriant avec lui des nuées de grêlons douloureux. En quelques secondes, la tempête de neige qui nous avait accompagnés durant la moitié de notre voyage à pied revint à la charge, certainement portée par les courants d'air que causait Hræsvelgr. Un brouillard, sombre et dense, nous enveloppa, tamisant la clarté du soleil jusqu'à ce qu'elle se réduise à un scintillement discret et lointain, plongeant mon champ de vision dans une pénombre grisâtre. Je perdis Åke et Selvigia de vue, et le sol par la même occasion.

Un nouveau cri de rapace parvint à mes oreilles, je frissonnai et, instinctivement, me transformai. La large paire d'ailes blanches que je déployai ralentit quelque peu ma chute, mais il me fallut un moment pour m'ajuster et réapprendre à naviguer avec les bourrasques violentes qui me fouettaient les plumes et me déviaient trop fréquemment de la trajectoire que je m'étais choisie.

L'habituelle sensation grisante de pouvoir voler s'était noyée dans la peur de la tempête et la sensation d'urgence causée par l'apparition du géant. La descente semi-contrôlée, qui menaçait de se transformer en chute libre au moindre coup de vent traître, fut une lutte de tous les instants, toujours à l'écoute du moindre bruit qui aurait trahi l'approche de l'aigle géant. Déterminée à échapper au plus vite à sa zone de chasse de prédilection – soit l'air dans lequel je volais – je plongeais aussi rapidement que le chaos ambiant me le permettait sans risquer de m'écraser à soixante à l'heure dans un arbre ou dans le sol. Parce que, la vérité, pure et simple, c'était que je ne voyais presque rien. Au mieux, j'entrevoyais à trois mètres avec les courants d'air chargés de neige épaisse. Ce qui était toujours mieux que ce que j'aurais vu sous forme humaine, certes, parce que j'aurais certainement eu du mal à distinguer le bout de mes doigts, mais c'était loin d'être une condition idéale pour voler. Il fallait que je reprenne contact avec le sol, je ne pouvais pas me permettre de rester vulnérable.

Mes poumons se frigorifiaient au contact de l'air glacial que j'inspirais. Furieuse contre ma propre peur, je poursuivis ma descente durant de trop longues minutes, jusqu'à ce que finalement, avec ma vision de rapace, je parvienne à discerner les cimes des arbres frémissant dans la neige. J'écartai mes ailes, sentis un frisson d'excitation me parcourir quand l'air s'engouffra dans mes plumes et ralentit brutalement mon vol. Planant difficilement au ras du feuillage, je jaugeai un instant les branches, cherchant une ouverture. Quand, au travers du blizzard, j'en repérai enfin une, je repliai mes ailes, m'engouffrai dedans en piqué, puis me métamorphosai une seconde avant de toucher le sol et me mis à sprinter. Je savais très bien que, sous forme humaine, je n'étais pas en sécurité, mais je préférais toujours avoir accès à mes armes et pouvoir me défendre que me faire happer par une sale bête plus grosse que moi en plein vol.

Le Cycle du Serpent [II] : L'Alliance des DéchusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant