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Je haussai les sourcils, soudain sceptique et méfiante. Quel genre de service pouvais-je rendre, moi, une demi-sang, à une déesse ? Nous n'étions pas dans la mythologie grecque, où les dieux n'intervenaient pas pour mille et une raisons absolument pas valables, et où les quêtes devaient être accomplies par de valeureux héros qui périssaient ensuite tragiquement. Nous étions dans le monde scandinave, où les dieux se tabassaient en renversant des montagnes parce qu'ils n'étaient jamais d'accord, se baladaient librement sur Midgard dès que l'envie leur prenait – même s'ils s'étaient calmés ces quelques dernières décennies – et où la seule chose qui importait aux demi-sang comme moi, c'était de faire honneur à son sang et à sa famille. Et éviter de se faire tuer par le camp adverse, bien sûr.

Syn parut cependant deviner mon refus instinctif, puisqu'un sourire taquin éclaira ses lèvres.

— Ne t'en fais pas, ça va dans l'intérêt de notre père.

— Mais pourquoi vous ne le faites pas vous même ? Je veux dire, vous êtes bien plus puissante que... commençai-je, avant de m'interrompre.

Ses mots, ses vrais mots, venaient de percuter mon esprit. Et, à voir les yeux écarquillés de ma sœur, je n'étais pas la seule qui venait de faire le lien.

— Attendez. Notre père ?

Le rire de la déesse était un carillon d'oiseau, dangereusement enchanteur. À voir son sourire malicieux, ses pommettes hautes et l'étincelle narquoise dans ses yeux gris sombres, je devinai sans mal de qui elle avait hérité sa beauté brute et son regard acéré.

— Un rival privilégié de Hlorridi, et c'est le rusé Loki, murmura Selvigia d'une voix à peine audible en citant la Lokasenna, une mémorable dispute entre Loki et les dieux.

Son murmure fit couler une goutte de sueur glacée dans mon dos. Hlorridi n'était qu'un autre nom de Thor. Ce qui voulait dire que... Oh, par les Nornes... Mon père avait eu une fille avec Sif. L'épouse de Thor.

— Tu connais tes textes, sourit Syn, approbatrice. Ma mère est effectivement mariée, mais en ce moment, elle se fatigue un peu de cette brute épaisse qui lui sert d'époux. En fait, ça ne date pas du siècle dernier... Mais pour en revenir à notre affaire...

Elle se tourna à nouveau vers moi. Le regard vide, je me contentai de soutenir le poids des prunelles anthracite fichées dans les miennes, essayant encore de comprendre ce qu'elle faisait là, et pourquoi elle venait me chercher moi, en particulier, en m'appelant par le nom que seul mon père m'avait donné.

— ... comme je le disais, Père s'est bien débrouillé pour avancer la date du Ragnarök de quelques siècles. Ça n'arrange pas franchement les autres, surtout Emyja, mais...

— Emyja ? l'interrompis-je.

Ma lassitude d'entendre ce prénom employé à tout bout de champ sans savoir de qui il s'agissait me faisait oublier les convenances. Selvigia plissa les yeux, atterrée, mais la déesse ne parut pas s'en préoccuper. Je parvins, l'espace d'un instant, à échapper à la prison de son regard, eus l'occasion de m'attarder sur ses traits fins, d'une beauté ravageuse, sublimés par la maturité de son visage adulte – l'avait-elle choisi, avait-elle hérité des mêmes pouvoirs que moi ? – ses épaules blanches dénudées. Puis, elle reprit la parole, et je fus à nouveau happée par le faisceau magnétique.

— Vous la connaissez sous le nom de Synnöve. La « nouvelle Syn », littéralement... grimaça-t-elle, clairement irritée.

Je me figeai, mon cœur battant soudain bien trop fort dans ma cage thoracique. Synnöve... Kaiser ? Emyja ?

— Ça fait quelques siècles qu'elle essaie de se présenter sous une nouvelle identité, mais personne à Asgard n'oublie qui elle est. Tout ça pour dire que pour rejoindre les autres Mondes et libérer Père, vous aurez besoin de passer par le Bifröst.

Le Cycle du Serpent [II] : L'Alliance des DéchusWhere stories live. Discover now