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Un long soupir m'échappa lorsque, après de longues heures de vol, je repérai enfin une clairière dégagée, quelque part dans la direction – du moins je l'espérais – de la source de Mímir. Après mes trois voyages de plus de deux jours au sein de l'Yggdrasil, je ne connaissais les Neuf Mondes que grâce à la carte que j'avais passée des mois à mémoriser, et mon antique boussole. Haletant sous l'effet de la tension nerveuse qui se relâchait enfin un peu, épuisée par les heures de vol que je venais d'enchaîner, je repris difficilement forme humaine, mais eus tout juste la force de me traîner jusqu'à l'orée de la profonde forêt avant de m'affaler entre les racines d'un immense hêtre et de sombrer dans un sommeil comateux.

Lorsque je rouvris les yeux, mes yeux ne rencontrèrent tout d'abord que l'obscurité. Un souffle de vent chaud caressa mes oreilles, portant les doux crissements du feuillage et le chuintement de l'herbe qu'il agitait. Je bâillai longuement, étirai mes muscles courbaturés par le sol dur et transis par la rosée vespérale qui s'était déposée à la tombée de la nuit. Sous le couvert des épaisses branches d'arbre, il faisait un noir d'encre ; pas une lueur ne filtrait entre les feuilles. Mais, lorsque je me tournai en direction de la clairière dont je me rappelais vaguement, j'eus le souffle coupé par la beauté du lieu.

L'herbe haute, gorgée d'eau, réfractait les rayons de Mani en un millier d'éclats irisés, ni réellement gris, ni réellement colorés. Nimbée d'une clarté irréelle, cristalline, la clairière entière semblait dotée d'une vie propre. Elle respirait au rythme des caresses de la brise, frissonnait lorsque ces dernières se faisaient un peu trop agressives, puis se tranquillisait lorsqu'elles s'apaisaient. Pas un son ne venait troubler la quiétude des lieux, la beauté de l'instant, et je me surpris à retenir ma respiration pour ne pas briser l'enchantement du moment, qui me paraissait en cet instant douloureusement éphémère. J'avais peur que, en soufflant un peu trop fort, je romprais le charme, je briserais la magie des lieux.

Toute l'angoisse de ces dernières heures se dissipa, comme absorbée par le calme des lieux, soufflée par le vent. Je fermai les yeux, la conscience en paix, l'esprit, pris simplement quelques inspirations profondes, lentement, sans chercher à les précipiter. Je n'avais aucune idée de l'heure qu'il était, ni de la distance qui me restait à parcourir, ni des épreuves qui m'attendaient encore. Je savais seulement que ici, dans cet environnement parfait, je pouvais prendre le temps de me ressourcer, de penser à moi.

Les minutes s'écoulèrent ainsi en silence, à peine troublées par le cri lointain d'un loup, et les hululements tout aussi distants d'un hibou. Toujours debout, à l'orée de la clairière, je souriais. L'instant était parfait. J'étais en communion totale avec mon environnement et, pour une fois, je percevais même l'infime pulsation de mon propre flux magique qui radiait à quelques centimètres de ma peau. C'était un exercice particulièrement difficile, que je n'avais réussi qu'en de très rares occasions, et seulement dans un cocon de privation sensorielle, à Midgard.

Et puis, soudain, un craquement.

Discret, plutôt distant. Mais, dans le silence absolu qui régnait sur les lieux, il résonna comme une note d'orgue discordante au milieu d'une harmonieuse symphonie. Mon instinct s'éveilla immédiatement, en alerte maximale. Que ce soit un animal ou un demi-divin, ou même quoi que ce soit d'autre, j'étais en potentiel danger de mort. La grosse faune locale n'était pas spécialement accueillante, les Æsir ou les Vanir, ce n'était même pas la peine d'en parler, et la technologie humaine ne pouvait pas me sauver ici.

Mannheim avait toujours été ma zone de prédilection, notamment à cause de sa technologie. Parce que dans les huit autres mondes, une arme technologique développée sur Terre était inutile. Les ondes magiques omniprésentes déréglaient son fonctionnement. J'avais testé une fois en voulant utiliser mes Glocks favoris face à un nirhjäl d'Alfheim, un étrange croisement entre l'ours, le serpent et l'écureuil. Ça avait la taille d'un ours, des crochets venimeux, un regard fourbe, et une terrifiante capacité à grimper aux arbres si vite que ça en devenait flou. Et mes pistolets n'avaient tout simplement pas tiré, qu'importe combien de fois je presse la détente ou tente de les décharger et de les recharger.

Le Cycle du Serpent [II] : L'Alliance des DéchusWhere stories live. Discover now