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Nous nous remîmes en route après avoir rangé nos affaires. Lancés dans les vastes plaines vides au nord de Mímirsbrunn, nous parcourûmes une bonne dizaine de kilomètres à vive allure, avant même que le soleil ne soit haut dans le ciel nuageux. Kalyan, fatigué par l'usage excessif de magie du matin même, fit quelque chose qu'il n'avait jamais fait durant les dix premiers jours de voyage, où nous avions avancé de la même manière : il demanda une brève pause en milieu de matinée. Je lui adressai un sourire moqueur, mais ralentis malgré tout, consciente qu'il nous restait bien le quadruple à parcourir si nous voulions garder notre progression actuelle, et il valait mieux pour moi qu'il soit encore fonctionnel si jamais nous venions à rencontrer de potentiels ennemis. Car, au bout du compte, nous étions actuellement le pire duo des Neuf Mondes : les trois quarts des êtres vivants qui respectaient les Æsir me détestaient à cause de mon ascendance, et les autres haïssaient Kalyan parce qu'il représentait justement lesdits Æsir.

Ainsi, assis au milieu de cailloux gris et bruns, enveloppés d'un épais manteau de brume, nous nous posâmes l'espace de dix minutes pour boire un peu d'eau, calmer nos respirations et étirer nos muscles tendus. Pour ma part, je sortis même une barre chocolatée de mon inventaire magique et, face au regard amusé de Kalyan qui me regardait manger, je finis par lui en donner une autre simplement pour gommer le sourire goguenard qui étirait ses lèvres.

— Quoi ? grommelai-je, la bouche pleine.

Il pouffa.

— J'ai toujours un peu de mal à réaliser que tu peux parfois te comporter comme une gamine de cinq ans, et ensuite massacrer une quinzaine de personnes dans le calme le plus absolu...

La petite référence à notre premier dîner ensemble m'arracha un léger rire. Je croquai dans ma barre chocolatée avec entrain, bien plus satisfaite d'avoir fait une pause que je n'aurais jamais osé l'admettre. J'avais tellement l'habitude d'évoluer avec des gens capables de modifier leur métabolisme en continu, de puiser dans leurs ultimes ressources pour couvrir chaque jour un peu plus de terrain... Ainsi, pour une fois, voyager de manière un peu plus tranquille me plaisait vraiment. Certes, nous nous donnions toujours à fond, mais je n'usais pas de magie pour améliorer ma résistance ou faciliter ma progression. Je me contentais de marcher et courir autant que mon corps, mon souffle et mon cœur me le permettaient, d'ahaner pour franchir des crevasses en sautant par-dessus alors que j'aurais simplement pu me transformer, de forcer sur mes muscles quand ils criaient grâce alors que j'aurais pu juste les renforcer.

Et, je devais l'admettre, Kalyan m'impressionnait. Pour quelqu'un qui, à première vue, m'aurait paru être un adepte du douillet confort de sa petite chambre au château des Thor, il avait une résistance à toute épreuve. En dix jours de voyage, il ne s'était jamais plaint, il avait toujours suivi le rythme démentiel qu'Åke et Selvigia imposaient, et il avait même trouvé chaque soir la bonne volonté de se joindre au feu de camp, de raconter des histoires et de veiller jusqu'à tard le soir après avoir enchaîné quarante à soixante kilomètres de marche-course. Plus impressionnant encore, il ne paraissait pas – trop – fatigué. Certes, des valises avaient élu domicile sous ses yeux, ses traits étaient tirés, et il avançait avec bien moins d'entrain qu'aux premiers jours, mais il était toujours de bonne humeur, un exploit auquel peu parvenaient.

— Écoute, marmottai-je, la bouche pleine, quand on vient me casser les pieds pendant que je mange...

Il ricana ouvertement en voyant le regard d'avertissement exagéré que je lui lançais, termina sa barre sans plus pipier mot, simplement en m'observant du coin de l'œil, et je finis moi aussi, puis fis apparaître un petit sac poubelle, dans lequel je jetais mes déchets quand je me baladais comme ça dans la nature. Ensuite, nous nous redressâmes tous les deux. Un regard à la boussole nous permit de confirmer, malgré le brouillard, notre cap actuel, et nous nous remîmes en route au pas.

Le Cycle du Serpent [II] : L'Alliance des DéchusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant