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Après les mois passés dans une blancheur crue, sans aucune nuance de couleur, l'intérieur lumineux et accueillant du jet privé me donnait l'impression de pouvoir respirer librement à nouveau. Entre la teinte beige des fauteuils de cuir, leurs accoudoirs de bois sombre verni et les petites lampes murales qui diffusaient leur chaude lumière, je me sentais déjà à l'aise, alors que je n'avais encore aucune idée de ce qui m'attendait. Pensive, je laissais mes doigts courir sur le cuir, appréciant la sensation de la surface, rêche mais étrangement douce, sous ma peau détaillant les lieux sans réellement chercher à les analyser stratégiquement, pour une fois. Les murmures des autres occupants de l'avion, qui se mêlaient au ronronnement des moteurs, me parvenaient comme un doux bruissement de fond, ô combien bienvenu après les longs mois de silence quasiment permanent.

D'un côté, il y avait les anciens prisonniers de la Centrale, regroupés près du cockpit, qui discutaient allègrement. Deux femmes se partageaient un siège, trois des hommes occupaient les autres fauteuils du petit carré convivial, et le dernier s'était simplement assis par terre. Aussi confortables soient-ils, les sièges ne paraissaient pas l'attirer, et je le comprenais : l'épais tapis qui couvrait le sol, accordé aux tons marron de la cabine, devait à lui seul être bien plus agréable que la couchette de son ancienne cellule.

Parmi ce groupe de six, je ne reconnaissais qu'une la métisse à la peau caramel, au sourire lumineux et aux traits avenants, perchée sur l'accoudoir. Ses cheveux bruns frisés formaient un volumineux halo autour de son crâne et, comme animés d'une vie propre, ils frémissaient à chaque fois qu'elle bougeait. Malika, dite l'Empoisonneuse, enfant de Loki qui avait disparu vers la fin du vingtième siècle. Sa bonne humeur, son rire contagieux, ses sourires spontanés, contrastaient brutalement avec le peu que j'avais pu lire à son sujet.

Il y avait aussi un type aux yeux turquoise qui me paraissait vaguement familier : un scandinave aux longs cheveux blonds, presque blancs, qui lui tombaient jusqu'à la taille. À mon sens, il ressemblait énormément à la légendaire Ulrica Larsson, son genre mis à part. En fait, je n'arrivais tout simplement pas à déterminer si c'était un homme ou une femme. Le physique était androgyne, l'attitude, changeante. Il y avait des gestes qui me paraissaient typiquement féminins, et pourtant, la voix grave et le maintien général du corps étaient masculins. Perdue entre les deux, j'avais bataillé quelques instants pour déterminer son identité, mais m'étais finalement résignée à observer les autres.

Eux, en revanche, ne me disaient absolument rien. Une brunette matinée à la crinière lisse et sombre et aux iris rose pâle, un brun basané aux allures de père de la mafia cubaine et aux yeux cobalt, son demi-frère, aux cheveux noirs bouclés et à la moustache fine soigneusement taillée, et un roux aux traits durs assis par terre, qui se contentait d'écouter ses comparses. Lui, je ne me rappelais pas l'avoir croisé un jour dans les registres de la Confrérie, même si les clichés les plus anciens dataient du début du dix-neuvième siècle. Ce qui signifiait qu'il était probablement bien plus vieux.

Sentant mon regard curieux, il releva brusquement la tête dans ma direction. Un boule d'amertume au fond de la gorge, j'affrontai quelques instants ses yeux turquoise vipérins qui semblaient mettre mon âme à nu, troublée par l'impression familière de sentir le regard de mon père. Pourtant, ce roux et Loki n'avaient rien en commun, à part leurs yeux et leurs couleurs de cheveux. Le visage et la carrure de mon père étaient fins, charmeurs, serpentins, alors que les traits et l'allure de ce type paraissaient avoir été taillés à la serpe tant ils étaient bruts et rogues. Et pourtant, une étrange similitude persistait, tant dans l'attitude générale que dans la manière de m'analyser.

Après une poignée de secondes d'affrontement silencieux, un fin sourire narquois étira les lèvres de mon demi-frère, et il se détourna. Ses compagnons me jetèrent chacun leur tour un petit regard interrogateur, méfiants, mais aussi clairement soulagés d'être sortis des infâmes prisons des Thor grâce à moi, puis ils en revinrent à la discussion animée qu'ils tenaient à voix basse, sans plus me prêter la moindre attention.

Le Cycle du Serpent [II] : L'Alliance des DéchusWhere stories live. Discover now