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Bien des heures plus tard, en entendant des pas lourds, familiers, qui ne se voulaient pas discrets, je relevai le nez, haussai un sourcil en direction d'Åke, qui s'approchait. Comme d'habitude, son visage n'était qu'un masque figé, peu avenant, mais, pour une fois, j'avais l'impression de discerner dans sa démarche souple et son regard inflexible une pointe de détermination que je n'y avais jamais vue auparavant, si ce n'était dans son combat avec Vali.

— J'ai trouvé Mímir, lâcha-t-il de but en blanc, il accepte de nous parler.

J'acquiesçai doucement, me redressai en silence, et me dirigeai vers la tente de Selvigia, qui dormait à nouveau à poings fermés. Ce voyage nous avait tous épuisés, mais pour ma part, j'étais retombée dans mon mode de fonctionnement militaire, où j'enchaînais près de trois journées d'affilée, puis je dormais durant près de vingt heures pour compenser. Selvigia, elle, préférait alterner entre courtes périodes de sommeil et d'éveil, mais malheureusement pour moi, cela influait beaucoup sur son moral au réveil. Ainsi, à l'instant où je la secouai par l'épaule, ses paupières se soulevèrent brutalement, et une dague apparut dans sa main.

— Debout marmotte, souris-je avant qu'elle ne me saute à la gorge.

C'était comme un signal, entre nous. Si on usait du terme « marmotte », c'était la bonne personne qui nous avait réveillée. Ce qui n'était pas toujours le cas. Le problème, avec notre fratrie de métamorphes, c'était que Selvie n'était pas toujours Selvie, et je n'étais pas toujours moi. Il m'était arrivé plus d'une fois que la véritable Selvigia vienne me voir et qu'elle me parle d'une discussion que je ne me souvenais pas avoir eue avec elle. Après maintes recherches, il s'avérait souvent que Levi ou Adam, parfois les deux, étaient dans le coup, même si on n'avait jamais de preuve plus tangible qu'un petit sourire narquois et suffisant. Théoriquement, se faire passer pour un autre Loki était une pratique interdite dans l'enceinte des bâtiments de la Confrérie, afin d'éviter les problèmes internes, les informations qui circulaient mal, et autres. Dans les faits... il m'était aussi arrivé quelques dizaines de fois de contourner l'interdit.

— Qu'est-ce qu'il y a ? marmonna-t-elle, encore assoupie.

— Mímir, répondis-je simplement.

Elle grommela dans sa barbe, grincheuse, et je souris. Selvigia était aussi ronchonne qu'un ours mal léché au réveil, probablement à cause du temps qu'elle avait passé à fréquenter les sales bêtes d'Alfheim. Les seuls matins où elle était presque abordable, c'était quand elle avait passé la nuit avec quelqu'un. Et encore.

Toujours accroupie, je reculai jusqu'à l'extérieur de la tente pour la laisser sortir tranquillement. Elle plissa les yeux en mettant le nez dehors, s'étira longuement, bâilla, puis leva le menton en direction de la tente de Kalyan sans émettre un son. Je secouai la tête de gauche à droite, me redressai à mon tour. Si Kal était là depuis deux ou trois jours, comme il me l'avait dit, il avait largement eu le temps d'aller consulter Mímir par lui-même, on n'avait pas besoin de l'attendre. En outre, nos questions étaient plutôt... délicates.

Ainsi, nous nous éloignâmes côte à côte d'un pas rapide, en direction du sous-bois situé non loin. Après seulement quelques mètres de marche en forêt, je distinguai le gris du ciel qui se reflétait dans une profonde étendue étale, à peine parcourue de vaguelettes. Loin de la rive, au milieu de la source, l'immense racine par laquelle nous aurions pu descendre – s'il n'y avait pas eu Hræsvelgr pour nous pourchasser – plongeait dans les profondeurs de la terre pour la soutenir. Je pris une inspiration tendue en parvenant à découvert, loin des barrières d'invisibilité que nous avions érigées autour de notre campement. Personne ne savait qui nous guettait et voulait potentiellement notre tête.

Un vent froid caressait ma peau, soulevait mes cheveux et agitait les rares brins d'herbe qui poussaient difficilement entre les graviers boueux aux abords du lac. Les quelques rares rayons de soleil qui parvenaient à franchir l'épaisse barrière nuageuse faisaient scintiller les eaux grises d'un éclat argenté, semblable à celui des yeux d'un Týr, sans toutefois parvenir à réchauffer ma peau. Un doux parfum aquatique, presque iodé, flottait dans l'air. Et, à quelques pas seulement du bord, seule dans l'immensité étale de la source, auréolée de cheveux grisonnants mi-longs, flottait une tête.

Le Cycle du Serpent [II] : L'Alliance des DéchusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant