| 9 † 2 |

18 4 4
                                    

Je ne prononçai plus un mot jusqu'à ce que nous ayons dépassé la ville de Çanakkale. Ce fut une longue route silencieuse, entrecoupée de brefs échanges ponctuels entre Éris et Trevor au sujet des Maisons, mais aucun des deux n'osa m'interpeller. Pour ma part, je me perdis dans les limbes de mes souvenirs du Manoir, songeant – encore et toujours – aux deux Kaiser.

Je ne les comprenais pas. À part prendre ma place au classement et bousculer un peu l'ordre établi, jouant avec les frontières de ce qui était autorisé par les règles familiales, je n'avais jamais rien fait qui puisse me valoir une telle haine. Ce qui signifiait que, si ce n'étaient pas mes actions qui me mettaient en tort à leurs yeux, c'était ma présence. Mais en quoi mon existence aurait-elle menacé Synnöve Kaiser ?

Lasse de buter encore et toujours sur les mêmes questions sans avoir ne serait-ce qu'une piste de réponse, je finis par me garer dans une petite station-service désuète, située aux abords de l'Apollon Smintheion. Situé à une soixantaine de kilomètres du site archéologique de Troie, c'était le vestige d'un sanctuaire grec perdu au milieu de la cambrousse turque, dédié au dieu du soleil, de la musique et de la poésie. À perte de vue, il n'y avait que la mer, vers laquelle le soleil plongeait, et des broussailles verdoyantes qui viraient au brun dans la lumière rosée du couchant. Je coupai le moteur en apercevant la seule autre voiture stationnée sur le côté, sautai hors du véhicule. Ekrest, plus barbu que d'habitude, le visage dissimulé par une casquette, m'accueillit d'un sourire que je ne lui rendis pas.

— Blade est mort, lâchai-je d'emblée.

Aucune réaction. Il le savait déjà depuis longtemps, il ne m'avait juste rien dit.

— Un problème ? releva-t-il finalement d'un ton sec.

— Non. Ça aurait été sympa de me prévenir, par contre, j'aurais passé moins de temps à anticiper son évacuation et plus de temps à me préparer.

— D'accord.

Je finis par esquisser un fin sourire en soutenant son regard inquisiteur, légèrement désapprobateur, qui traduisait aisément ses pensées. Les mois au Q.G. des Thor m'avaient rendue sentimentale, vulnérable. Je m'étais attachée trop vite à la présence de quelqu'un à mes côtés. J'étais faillible, en manque de soutien et d'affection.

Mais Blade n'était plus, et rien que je fasse ne changerait ce fait.

— C'est parti ? proposai-je en levant le menton.

Ekrest acquiesça sobrement et, ensemble, nous nous dirigeâmes vers ma voiture. J'ouvris la portière du côté de Trevor Kalen, détachai sa ceinture, puis m'écartai en lui faisant signe de sortir. Il s'exécuta lentement, ses yeux violets rivés dans les miens, et un instant, je craignis qu'il ne décide de m'attaquer. Mais après ce qui sembla être un long moment d'intense réflexion, il m'adressa une sorte de rictus narquois, inspira à pleins poumons l'air chaud et sec de la région, regarda autour de lui avec une curiosité non dissimulée. De son côté, Ekrest accueillit Éris en lui tendant une fiole remplie d'un liquide bleuté, qu'elle récupéra avec méfiance et précaution.

— Merci, je suppose...? grommela-t-elle. La deuxième si je combats, c'est ça ?

Ekrest répondit par l'affirmative, et elle interrogea :

— Ils seront combien ?

— Une trentaine apparemment, en plus des gardiens du site.

Je déverrouillai les menottes de Trevor Kalen, me reculai de deux pas.

— Tu es libre, annonçai-je tranquillement.

— Vraiment ? C'était quoi l'intérêt de m'amener jusqu'ici alors ?

Le Cycle du Serpent [II] : L'Alliance des Déchusजहाँ कहानियाँ रहती हैं। अभी खोजें