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Des bruits de coups succédèrent au cri. Sans plus attendre, j'abaissai la poignée, juste à temps pour voir un corps aux cheveux cendrés voler à travers le salon, propulsé par une onde de choc si puissante que je fus moi-même projetée le dos contre le lavabo. Je grondai de douleur, encaissai le choc les dents serrées. La douleur des vertèbres qui avaient cogné contre la céramique irradiait le long de ma colonne vertébrale. Mais les ordres aboyés à tout va me secouèrent bien vite.

— Encerclez-la ! Permission de tirer si nécessaire !

Je me redressai en vacillant, m'avançai dans le salon au mépris des soldats de la Faction qui étaient en train de se relever péniblement et de sortir leurs armes. Déjà, je ne fixais que la source de cette onde magique, recroquevillée dans un coin, à moitié dissimulée par un fauteuil renversé. Ses cheveux filasse tombaient devant son visage en mèches grasses, elle avait plaqué ses mains sur ses oreilles, et sa voix éraillée, caverneuse, rebondissait contre les murs au rythme de la comptine sinistre qu'elle se répétait.

— C'est un rêve. C'est un rêve. C'est un rêve. Réveille-toi. T'es en prison. Viendront bientôt.

Je levai la main, les yeux toujours fixés sur Kirstin, esquissai des doigts le geste universel qui indiquait aux soldats de garder leurs distances. Probablement conscients de mes pouvoirs, et donc de mes chances bien plus élevées que les leurs de survivre à la crise, ils obéirent. Je m'avançai d'un pas méfiant, ma magie fourmillant au bout de mes doigts, parée à ériger un bouclier ou bondir de côté au moindre geste brusque, le cœur battant.

— C'est un rêve. C'est un rêve. C'est un rêve. Réveille-toi. T'es en prison. Viendront bientôt.

Un frisson de terreur courut le long de mon échine quand je compris. Sa voix était caverneuse. Quand elle releva les yeux, ses pupilles sombres, dilatées, mangeaient ses iris turquoises, creusaient son visage émacié.

— Kirstin, soufflai-je doucement, écoute-moi.

Elle étendit un bras décharné, armé d'une grenade, et je reculai instinctivement d'un pas. Mon mouvement lui arracha un sourire dément, qui dévoilait ses dents manquantes et ses gencives noircies.

— On n'peut pas mourir ici. C'est un rêve.

— Kirstin, arrête ! cria soudain une voix masculine.

Tyko. Je le reconnus sans même avoir à tourner la tête, perçus sa respiration à quelque pas derrière moi. Mais, contrairement à moi, que la présence de l'Élite rassurait quelque peu, Kirstin se replia sur elle-même en sifflant comme un serpent.

— R'culez ! gronda-t-elle.

Mon premier réflexe aurait été de l'écouter, mais je m'obligeai à demeurer en place.

— N'les écoute pas, ajouta-t-elle pour elle-même, le regard trouble. Ce n'sont q'des illusions. Ne sont pas là. T'es pas là.

Mon pouls grimpa en flèche quand elle glissa son pouce dans l'anse de la goupille avec un geste si fluide que je le devinai instinctif. Comme moi, Tyko se crispa, mais il continua à avancer. Enfin près de moi, il attrapa mon poignet et, avant même que je n'aie le temps de le réaliser, il s'infiltra dans ma tête.

— Fais attention. Elle a ses pouvoirs.

Je me concentrai un instant uniquement sur le flux magique pour percevoir l'hypno-illusion que l'Élite avait établie, puis projetai mes propres réflexions le long de la liaison comme Ekrest me l'avait appris des années plus tôt.

— Pourquoi ?

— Elle me paraissait stabilisée quand on est arrivés, admit-il avec une pointe de culpabilité. Depuis qu'on avait quitté l'avion, ça allait beaucoup mieux.

Le Cycle du Serpent [II] : L'Alliance des DéchusWhere stories live. Discover now