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Je m'accroupis, les yeux rivés sur le lac étale qui se trouvait juste devant moi. La lune était haute, mais voilée par une fine couche de nuages gris qui dispersaient la lumière blanche dans toutes les directions, nimbant les lieux d'une clarté argentée. De l'autre côté du lac, les silhouettes distantes de hauts conifères formaient une masse sombre et menaçante, qui bruissait et crissait sous l'effet des bourrasques de vent froid. Lorsque l'air froid chatouilla ma peau, hérissant mes poils, je me crispai, même si je n'étais que dans un rêve.

— Dæmona.

Je tressaillis. La voix avait résonné dans mon dos. Pour une fois, Loki n'était pas dans le lac, comme il avait l'habitude d'être au début de nos rencontres, il était déjà debout sur la rive. Je sentis ses doigts brûlants se poser sur mes épaules, ses ongles se refermer sur ma chair comme des serres de rapace. Il se pencha en avant, et je devinai un sourire cruel dans sa voix lorsque son souffle chaud effleura mon oreille.

— Qu'est-ce que ça fait de pouvoir se promener librement dans les Neuf Mondes ?

Un étau d'acier comprima brutalement ma cage thoracique, je cessai de respirer. Je venais de réaliser. Pourquoi cela faisait des heures que je tournais en rond dans ce rêve, pourquoi je n'étais pas capable de m'éloigner de ce petit lac ni de me réveiller.

Alors je gardai le silence. De toute manière, je ne pouvais pas me défendre. Je n'avais aucune justification pour mon refus, aucune autre que mes envies. Mais je n'allais pas accepter. C'était ma magie dont on parlait, mon existence qui allait changer si j'acceptais le marché de Mímir. Loki était certes enfermé depuis des millénaires, mais c'était de sa faute uniquement. C'était lui qui avait provoqué la mort de Baldr, c'était lui qui s'en était ouvertement vanté au banquet d'Ægir. Son emprisonnement, il ne pouvait le reprocher qu'à lui-même. Je n'étais pas tenue de l'aider, pas plus qu'un autre de ses enfants. Et, parmi tous mes frères et sœurs, personne ne paraissait réellement enthousiaste à cette idée, ou du moins, personne n'était assez motivé pour transformer l'idée en action.

Soudain, les eaux calmes du lac se muèrent en un gigantesque brasier. Les flammes rugirent, voilant la forêt de l'autre côté, leurs crépitements emplirent mes oreilles. La fumée envahit mes poumons, la chaleur déferla sur mon visage, la luminosité m'obligea à plisser les yeux. Je toussai, voulus reculer, mais les mains implacables de mon père me maintenaient agenouillée face au feu.

— Vois-tu, Dæmona, chuchota-t-il à mon oreille, tu es mienne. Peu importe ce que je veuille faire avec toi.

Ses ongles s'enfoncèrent dans ma chair, déchirant le tissu de mon T-Shirt qui déjà commençait à se dessécher et à coller à ma peau moite. S'appuyant sur moi sans violence, il me poussa vers l'avant, et le haut de mon corps se rapprocha encore un peu des flammes. Je gémis de douleur. Des larmes, provoquées par la chaleur et la luminosité, se déversaient de mes paupières closes, la fumée âcre brûlait mon nez et ma gorge. J'avais terriblement chaud. Encore quelques centimètres, et les flammes les plus proches m'effleureraient les joues.

Pourtant, je demeurai muette, raidie, immobile. Une détermination glacée avait paralysé mon cœur, figé mes pensées autour d'une simple idée. Ne pas céder.

J'avais passé des mois emprisonnée. Mais mon père était au courant. Lorsqu'il m'était apparu en rêve au Q.G. des Thor, il m'avait dit qu'il voulait que je retrouve les autres Élites. Qu'il était désolé que je passe par l'emprisonnement, mais que c'était nécessaire. Autrement dit, il était pleinement conscient de ce que Kaiser tramait lorsqu'elle m'avait envoyée à la mort. Pire, il l'avait soutenue en choisissant Levi comme Élu, en me précipitant entre les griffes des Thor. Mais n'étais-je pas celle qui était censée être désignée ? N'étais-je pas celle sur qui sa liberté reposait ?

Le Cycle du Serpent [II] : L'Alliance des DéchusWhere stories live. Discover now