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Après la rencontre avec Mímir, dix jours s'écoulèrent comme dans un rêve. Nous nous mîmes en route en direction de Nidavellir, le monde des nains, situé au nord de la terre. En journée, je me contentai de cheminer aux côté des autres, les yeux dans le vague et l'esprit vide, de discuter de temps en temps avec eux, sans jamais leur mentionner ce qui m'était réellement arrivé, et ils s'abstinrent toujours de poser la question. La nuit, je fis cauchemar sur cauchemar, revivant la torture de mon père mêlée à celle du Q.G. des Thor, ainsi que la souffrance du sacrifice. Bien des fois, je m'éveillai en criant, transpirante, le cœur battant la chamade, des suppliques au bord des lèvres, sans trop savoir si, dans mon rêve, c'étaient des iris turquoise ou électriques qui me menaçaient. À force, je pris l'habitude d'installer ma tente un peu en retrait par rapport aux autres, consciente que mes hurlements ne leur faciliteraient pas le repos.

Durant cette période trouble, sans réelle surprise, Kalyan fut mon plus fidèle soutien. Lui qui avait eu l'occasion d'expérimenter les rêves de Loki n'hésita pas une seule fois à venir m'arracher au sommeil en pleine nuit, ne serait-ce que pour m'extraire de l'horreur, puis de rester allongé à mes côtés jusqu'à ce que je me rendorme. Au matin, il avait toujours disparu, et mes souvenirs de son bref passage étaient troubles, mais mon corps se rappelait sa chaleur rassurante et de sa tendresse mesurée, dépourvue de la moindre once de pitié. Il n'essaya jamais de me réconforter avec des mots, en me disant que tout irait bien ou que ce n'était qu'un rêve car, plus que quiconque d'autre probablement, il savait que les cauchemars me hantaient même durant la journée. En revanche, sa présence attentionnée, la sensation de son regard azur qui se posait régulièrement sur moi pour s'assurer que j'allais bien, devinrent bien vite mes points de repère au quotidien.

La facilité avec laquelle je m'étais attachée à lui aurait pu m'effrayer, mais étrangement, je n'arrivais pas à me sentir en danger lorsqu'il était dans les parages. Au contraire, plus le temps passait, et plus je réalisais que l'infime part de lui que j'avais vue quand j'étais au Q.G. des Thor n'était rien par rapport à ce que je découvrais. Lorsqu'il n'était pas prisonnier de ses devoirs, lorsqu'il se permettait d'être lui-même, sans contraintes ni jugements extérieurs, il irradiait de calme et de confiance en lui-même. Il ne cherchait pas le conflit, il n'essayait pas d'imposer ses opinions. Il était ouvert au dialogue, réaliste dans ses espoirs, efficace dans l'action, digne dans ses choix. À l'instant où il avait recroisé Åke pour la première fois, il lui avait formellement présenté ses excuses pour tout ce qui s'était passé en prison, sans chercher à minimiser le rôle qu'il avait tenu.

Bien évidemment, du côté de mon demi-frère, c'était loin d'être oublié et pardonné, mais face à cette honnêteté désarmante, il s'était contenté de hocher la tête et de grommeler quelque chose dans sa barbe. L'ambiance entre eux demeurait tendue, et ils gardaient leurs distances au quotidien, mais il n'y avait pas de conflit ouvert, ce qui rendait le long trajet plutôt agréable.


Lorsque je me réveillai le matin du onzième jour, je n'aurais pas pu bouger même si je l'avais voulu. Kalyan avait étendu son bras gauche sous ma tête en guise de coussin, passé son bras droit autour de mon ventre, et l'une de ses jambes par-dessus la mienne. Ainsi emprisonnée contre lui, mon nez contre son épaule, inspirant à pleins poumons son parfum citronné diffus, qui commençait à s'estomper, je me sentais étrangement sereine. Calme et apaisée. La brûlure dans ma poitrine avait été momentanément reléguée à l'arrière plan, l'angoisse et l'agonie mentale de ces dernières heures étaient un souvenir, pour l'instant maintenu à distance. Je ne voulais pas sortir de là où j'étais, en vérité. Je m'y sentais trop bien.

Consciente qu'il s'était probablement endormi après être venu me réveiller cette nuit, même si je m'en rappelais à peine, je refermai les yeux, souris, enfouis mon visage dans les replis de son T-Shirt, et ne bougeai plus, savourant simplement l'instant présent. Je savais que, bientôt, je devrais émerger, me relever, faire face à une nouvelle journée épuisante, tenir les souvenirs éloignés autant que possible. Et je n'en avais pas envie. Autant prolonger ce moment éphémère et intemporel autant que possible.

Le Cycle du Serpent [II] : L'Alliance des DéchusWhere stories live. Discover now